AGENT de LIAISON ABLAINOIS (L’)
L’Agent de liaison ablainois. Bulletin de liaison entre la population et les mobilisés d’Ablain-Saint-Nazaire
La « drôle de guerre » s'éternise et l'ennui gagne les cantonnements. Les hommes ont le mal du pays, ils s'interrogent sur leur utilité. Ablain-Saint-Nazaire a peut-être trouvé un remède pour entretenir le moral des quelque cent vingt Ablainois mobilisés loin de chez eux.
En février 1940, paraît le premier numéro de L'Agent de liaison ablainois « Journal périodique à grand format paraissant tous les "quand ça lui plaît" », réalisé par le « comité d'entr'aide aux mobilisé d'Ablain ». Toute la ville semble s'y être mis pour faire sourire les gars du village qui sont partis défendre le pays. Ce journal, dont le titre est placé sous l'ombre du phare de Lorette, est une œuvre collective et communale. De format 21 x 31 cm, il comprend huit pages dactylographiées, fabriquées par l'Imprimerie spéciale de L'Agent de liaison ablainois, qui cache probablement la machine à reproduction de la mairie. Le journal à son Grand Quartier général à la mairie d'Ablain. Le gérant en est Marcel Lancino, le maire, qui, dans cette première livraison, s'adresse « à chaque gars d'Ablain ». Les autres articles sont signés du curé, de l'instituteur, du délégué mineur… Les pompiers, les coulonneux y ont également apporté leur contribution. Sous son titre, le périodique revendique par ailleurs des « correspondants dans toutes les grandes capitales d'Europe y compris la république du Val d'Andorre » et un « correspondant particulier sur le front. » Tous participent bien sûr bénévolement à ce journal puisque « les rédacteurs, correspondants, compositeurs, fournisseurs et imprimeurs de l'Agent de liaison ablainois sont payés le 32 du mois à la caisse du secrétaire général de la rédaction M. Cresson-Fleury. »
Si le journal est « gratis pour tous les mobilisés ablainois », le prix de l'abonnement pour un an est fixé à 20 F pour les civils d'Ablain et 100 F pour les autres civils. Quant aux annonces dont le tarif n'est pas donné, elles « sont payables d'avance de préférence en chèques sur la Banque de France ». « Les chèques sur la Banque de Berlin, précise le journal, ne sont pas acceptés même (et surtout) s'ils sont signés d'Hitler (Adolf). »
L'ensemble se veut traiter sur le ton de l'humour. Ainsi au milieu des offres d'emplois factices peut-on lire cette proposition qui traduit une partie de l'état d'esprit du moment : « Pour tous les civils qui trouvent que la guerre actuelle est une drôle de guerre, que ça ne va pas vite, pour ces mêmes civils qui rouspètent parce que la vie est chère, parce qu'il manque un peu de café, parce qu'il y a une contribution nationale de 15 %, parce qu'il fait froid, parce qu'il gèle et pour d'autres raisons encore, nous sommes heureux de faire connaître qu'il existe à l'heure actuelle de nombreux emplois disponibles entre Sarre et Moselle en qualité de patrouilleurs. Pas besoin de connaissances spéciales, ni d'aptitudes particulières ; pour les Français il ne sera exigé aucune référence, l'acte de naissance sur papier libre sera la seule pièce demandée. »
Un deuxième numéro paraît en avril 1940, réalisé par les mêmes participants qu'au premier numéro auxquels est venue s'ajouter la trésorière du comité d'Entr'aide. Celle-ci présente la situation financière de son association. Deux nouvelles rubriques font leur apparition : le Courrier des mobilisés et « les petites nouvelles du village », qui fait une large place au retour des permissionnaires. Les annonces pour lesquelles la rédaction décline toute responsabilité complètent cette deuxième livraison : « Ayant perdu contenance devant le colonel, prière de vouloir bien la rapporter au bureau de l'adjudant de semaine », « Soldats ayez de bonnes fréquentations. Demandez à correspondre avec nos marennes de guerre et nos tentes canadiennes ».
Enfin que les lecteurs se le tiennent pour dit : « La reproduction, même au fusain, des articles de L’Agent de liaison est formellement interdite pour tous les journaux de tous pays, y compris l'Allemagne et la Russie. En cas de contestation, L'Agent de liaison Ablainois ne reconnaît que la juridiction du tribunal de Boutzeur et la cour d'appel de Boutzou. »
Le ton léger ne garantit pas contre les exigences du temps. Les numéros de L'Agent de liaison ablainois n'ont pas échappé à la censure militaire. Ils sont, tous les deux, revêtus du visa militaire du capitaine de Bonnières.