Courrier du Pas-de-Calais (LE)
Le Courrier du Pas-de-Calais : affiches et annonces judiciaires, administratives et commerciales. Politique, lettres, sciences et arts
Devient : Le Courrier du Pas-de-Calais. Politique, lettres, sciences et arts. Annonces judiciaires et commerciales.- Puis : Le Courrier du Pas-de-Calais.- Puis : Le Courrier du Pas-de-Calais (Le Courrier et Pas-de-Calais réunis).- Puis : Le Courrier du Pas-de-Calais (Le Courrier et Pas-de-Calais réunis). Organe de défense et d’union pour la reconstitution des régions dévastées.- Puis : Le Courrier du Pas-de-Calais. Organe de défense et d’union pour la reconstitution des régions dévastées.- Puis : Le Courrier du Pas-de-Calais. Journal du soir
Le 6 juillet 1821, à Arras, Louis Auguste Tierny, âgé de 28 ans, achète à Michel Nicolas, son imprimerie située Grand'Place. Par la même occasion, il devient propriétaire de la Feuille d'affiches, annonces, avis divers de la ville d'Arras, chef lieu du département du Pas-de-Calais publiée deux fois par semaine. Fondé en 1803 par sa mère sous le nom de Feuille hebdomadaire du département du Pas-de-Calais, ce périodique est alors le seul paraissant à Arras sous la Restauration. Il le reste jusqu'à la parution, en janvier 1826, de La Revue départementale à laquelle succède en novembre 1828, un journal politique, Le Propagateur.
En juillet 1830, le régime de Charles X est balayé après trois jours d'émeute. Ces événements incitent Auguste Tierny à donner un nouveau titre à son bihebdomadaire qui devient, le 6 octobre, Le Courrier du Pas-de-Calais : « Aujourd'hui que la presse est plus libre que jamais que le peuple français invoque une publicité favorable à ses institutions comme à ses intérêts commerciaux, aujourd'hui que chaque citoyen veut observer et juger des événements dont la France et l'Europe sont le théâtre, nous avons cru devoir, suivant les progrès du siècle, adopter un titre plus expressif et qui indique mieux les améliorations successives que ce journal a déjà reçues et qu'il recevra encore sous notre direction. » Si son fonds de commerce reste les annonces, la publication élargit son horizon aux « nouvelles du Royaume et de l'extérieur, [aux] actes du gouvernement, [aux] arrêts judiciaires, [aux] questions de l'ordre social et d'économie publique, [à] tout ce qui se rattache au commerce, à l'agriculture, etc. » Cependant, pas question de s'engager sur le terrain politique, le journal s'en tiendra aux faits, rien qu'aux faits : « bornant notre mission au simple exposé des faits, sans dicter au lecteur ce qu'il doit en penser comme s'il était supposé privé de la faculté de réfléchir, […] Le Courrier du Pas-de-Calais répondra mieux aux vœux de l'immense majorité des citoyens, plutôt avides de choses que de raisonnements toujours empreints d'exagération et des sentiments personnels du journaliste. »
À peine trois mois plus tard, Le Courrier du Pas-de-Calais franchit un nouveau cap. À côté du Propagateur dirigé par Frédéric Degeorge, « ce journal embrassera le champ de la politique […]. Sans se constituer l'écho d'aucune coterie, [il] deviendra véritablement l'organe des opinions françaises et la lecture de ce journal pourra suffire au citoyen qui ne veut que connaître la situation politique et morale de la France et des pays dont les destins paraissent se lier le plus étroitement à celles de la nation. »
Changement de cap, mais aussi changement de société pour l'exploitation du journal. À l'aube de sa 28e année d'existence, le 1er janvier 1831, une nouvelle société est créée entre Auguste Tierny et L. Chauvigny, qui argue de sa parenté avec Harlé, député du Pas-de-Calais, Deladière-Huré et Martin-Capet. Puis le journal adopte un nouveau format et une présentation sur trois colonnes. Ce renouveau est l'occasion de définir la ligne politique qui sera désormais la sienne : « Ami de l'ordre et de la légalité, écrit Tierny, jamais il ne cessera de s'exprimer en ce sens, jamais il ne sacrifiera aux exigences d'un parti quelconque. […] Les rédacteurs du Courrier rougiraient de se cramponner effrontément au char d'un parti, qui souvent n'a d'autre vœu secret que d'arriver au timon des affaires, dut-il plonger la patrie dans les horreurs de l'anarchie et de la guerre civile. »
Cette belle déclaration d'indépendance cache un ralliement au régime en place et surtout au parti de la « résistance » pour qui les Trois Glorieuses n'ont été qu'un changement dans la personne du chef de l’État. Les rédacteurs en chef qui se succèdent sont pour la plupart nommés par le gouvernement « comme de véritables fonctionnaires [allant] d'une feuille à l'autre à travers les départements (1). » Et ils passent vite, ces journalistes gouvernementaux. En 1835, Le Propagateur se plaît à relever que depuis le début de la monarchie de Juillet, son concurrent a déjà eu quatre rédacteurs en chef.
Orléaniste, Le Courrier déplore la contestation qui gagne le pays. Il dénonce tous ceux qui en sapent les bases. Son rédacteur en chef du moment Montferrier s'en prend à La Mennais, ancien ultramontain pour qui l’Évangile est devenue une prophétie révolutionnaire. Localement, sa bête noire est bien sûr Le Propagateur de Frédéric Degeorge. Aussi lorsqu'en septembre 1835, après l'attentat de Fieschi contre le roi (2), le régime, s'en prend à la presse, augmentant le cautionnement, multipliant les délits de presse, accordant aux tribunaux le droit de suspendre les journaux en cas de double condamnation dans l'année… Le Courrier du Pas-de-Calais applaudit, jugeant « ces lois salutaires ». « Nous les voyons paraître avec joie, avec une joie que nous ne craignons pas de montrer sur la place publique… » commente son rédacteur en chef.
Ce soutien au régime est vite récompensé. Le journal d'Auguste Tierny devient le seul périodique arrageois désigné pour l'insertion des annonces judiciaires, malgré un tirage plus faible que son concurrent.
« IL N'A JAMAIS SU QU'APPLAUDIR »
En janvier 1848, quand toute l'opposition mobilise contre le pouvoir, Le Courrier reste l'un de ses plus fidèles défenseurs. Dans un éditorial intitulé « Il faut serrer la rangs », il appelle tous les journaux conservateurs à combattre « les mauvaises passions des feuilles de l'opposition ».
Louis-Philippe chassé de France, le journal prend acte du changement de régime sans enthousiasme. Le 28 février, il publie les proclamations officielles, sans commentaire ; le vendredi 5 mars, étranger à l'euphorie générale, il rend compte brièvement de « l'installation officielle de M. Frédéric Degeorge, nommé commissaire du gouvernement dans le Pas-de-Calais ». Montré du doigt, sous le régime précédent, par son adversaire, il tient sa revanche et traite désormais Le Progrès (3) de « piètre journal de l'administration ».
Représentant de cette province effrayée par la contestation parisienne, Le Courrier approuve quelques mois plus tard la politique de Cavaignac. En septembre 1848, au cours d'un véritable réquisitoire contre Paris, il rallie les positions de l'association de la presse départementale nouvellement créée : « nous appuierons toutes mesures tendant à diminuer cette centralisation inouïe qui, rattachant par d'inextricables et fatals liens chaque département à la capitale, a pour effet de sacrifier la volonté de la France entière aux caprices d'une seule ville, de traiter de véritables parias 34 millions de citoyens, pour ne tenir compte que des aspirations de la population parisienne. Là se trouve en effet la source des maux que nous avons éprouvés, des bouleversements que la France a soufferts depuis quelque temps, là aussi gît le danger dont l'avenir nous menace encore. »
Quelques semaines avant l'élection du président de la République au suffrage universel, le 16 novembre, le quotidien arrageois, héraut de l'ordre, approuve la prise de position de la presse départementale en faveur de Louis-Napoléon. Le 26, Persigny, principal agent électoral de Bonaparte, sollicite l'appui du nouveau rédacteur en chef, Auguste Louis Eugène Tierny, neveu du directeur du journal (4). Dans son supplément du 8 décembre, il met à la disposition de ses lecteurs une page de bulletins de vote au nom de son candidat (5).
Lors des élections législatives des 13 et 14 mai 1849, le choix du Courrier, devenu quotidien depuis le 22 avril, se porte naturellement vers ceux qu'il appelle « des hommes modérés » contre les républicains démocrates dont, ironise-t-il, M. Degeorge est « l'astre brillant ». Il analyse les prises de position de l'ancien rédacteur en chef du Progrès devenu législateur depuis la révolution de février : il a été le seul représentant du Pas-de-Calais à avoir voté en faveur de l'amendement sur le droit du travail, il a été le seul représentant du Pas-de-Calais à s'être prononcé pour l'impôt progressif… Autant de faits d'armes qui lui vaudrait bien, remarque le quotidien, le qualificatif de « socialiste »… !
Le Courrier a trouvé en Louis-Napoléon l'homme providentiel « contre les doctrines communistes, contre les théories des barricades, contre un gouvernement de surprise ». Il ne lui fera plus défaut. Dès janvier 1851, alors que l'épreuve de force est engagée entre l'exécutif et les parlementaires sur la prolongation du mandat présidentiel, le journal se prononce pour une révision de la constitution. La modification repoussée par l'Assemblée, le Coup d’État du 2 décembre ne suscite aucune protestation de la part de la rédaction du Courrier. L'édition du 3 est à peine bouleversée. Elle s'ouvre, comme à son habitude, par le bulletin de politique extérieure. Celui-ci est suivi par la proclamation du préfet du Pas-de-Calais affichée la veille en ville : « Le repos de la France était menacé par l'Assemblée législative, elle a été dissoute. [… Le président] maintient la République et remet loyalement au pays le droit de décider de son sort… » Un article du Constitutionnel, journal bonapartiste, et la proclamation du président annonçant la préparation d'une nouvelle constitution complètent la « Une ». L'absence de tout commentaire semble atténuer la portée de l'événement et valoir approbation. Le 8 décembre 1851, à l'approche du plébiscite, Auguste Tierny engage ses lecteurs à accorder leur confiance au prince-président : « Aujourd'hui, c'est un passé réparateur des ruines amoncelées de toutes parts que nous pouvons invoquer en faveur du président de la République ; c'est la nécessité encore, car si la France étouffait sous son vote cette candidature, il n'est rien en dessous ; plus de gouvernement : l'anarchie, le pillage partout ! »
Auguste Louis Eugène Tierny, « jeune avocat et écrivain de talent » comme le qualifie le préfet du Pas-de-Calais, et son oncle ne ménagent ni leur peine, ni les deniers de la Société pour soutenir la cause qu'ils défendent. Le 5 août 1852, le préfet écrit à son ministre « lors de l'élection du 20 décembre, MM. Tierny ont fait distribuer 30 000 numéros de leur journal, gratuitement, pour mieux en assurer le succès. »
Avant même que le prince-président n'entame une tournée en province afin de prendre la mesure de l'état d'esprit des Français, le journal relaie en août 1852 la pétition pour le rétablissement de l'empire adressée aux membres du Sénat : « Pour éviter de nouveaux malheurs, de nouvelles incertitudes, il faut assurer de longues destinées au pouvoir que la France s'est donné. Le titre d'EMPEREUR […] est le seul qui convienne à notre chef. »
La dignité impériale restaurée par un sénatus-consulte, il se lance dans une campagne active en faveur du Oui, « mot libérateur » comme le qualifie son éditorialiste. Ce « Oui » revient quotidiennement « en tête de [ses] colonnes pendant les derniers jours qui [le] séparent de la grande élection des 21 et 22 novembre ». Au lendemain du plébiscite par lequel plus de 7 800 000 personnes ont approuvé le texte du sénatus-consulte, le ton est triomphal : « Le succès est complet ! s'enthousiasme Tierny, […] Honneur au Pas-de-Calais ! Nous avions raison, cette fois encore, de compter sur le bon sens et le patriotisme de ses habitants. »
La fidélité du quotidien à l'empereur ne se dément pas. D'autant qu'à partir de 1857, il a le champ libre. Le Progrès supprimé par le pouvoir le 5 avril 1857, pendant quelques années, il ne rencontre plus aucun contradicteur. Ainsi Le Courrier se fait le défenseur de la politique romaine de l'Empereur. En janvier 1860, notamment, Tierny refuse de publier un opuscule écrit par Mgr Parisis et intitulé « L'évêque d'Arras à l'auteur de la brochure Le Pape et le congrès (6) ». Agacé par cette attitude, le journal catholique et légitimiste Le Propagateur du Nord et du Pas-de-Calais (7) publié à Lille relève ainsi tous les articles soutenant la politique romaine de l'Empereur. Et d'élargir son propos à la ligne politique du Courrier pour mieux le discréditer : « Depuis 65 ans, il n'a jamais su qu'applaudir. L'habitude est une seconde nature. Il a donné à la république de Cavaignac les mêmes éloges qu'à Louis-Philippe, à Charles X, à Louis XVIII. »
1889, ANNÉE BÉNIE !
Le régime n'est pas ingrat envers ceux qui le servent fidèlement. Le Courrier se voit régulièrement attribuer l'insertion des annonces judiciaires pour les arrondissements d'Arras et de Béthune. Certes il s'est fait rappeler à l'ordre en 1852 pour la publication d'une lettre du comte de Chambord aux légitimistes, mais les représentants de l’État à Arras savent reconnaître ses mérites. En 1859, lors de son différend avec l'évêque, le préfet du Pas-de-Calais vole à son secours. Il écrit à son ministre : « Le propriétaire du Courrier va sans doute se trouver en butte à la malveillance du clergé, par suite du mauvais accueil fait par lui à une proposition de l’Évêché. S'il devait être frappé dans ses intérêts matériels, si un certain nombre d'abonnements lui était retiré par les ecclésiastiques ou les catholiques exaltés […] je vous prierais ultérieurement de réserver au Courrier du Pas-de-Calais une part dans les faveurs attribuées à la presse gouvernementale. » Et le préfet de poursuivre : « M. Tierny est digne d'une distinction, car, de même que dans les mauvais jours il a courageusement résisté aux menaces anarchistes et des partis hostiles au rétablissement de l'Empire, de même il est prêt à soutenir la lutte contre l'ultramontanisme… » Le propriétaire du Courrier l'obtient en 1865 où il est nommé chevalier de la Légion d'honneur « alors rarement accordée aux représentants de la presse », comme le note son fils Paul en 1928 (8).
En novembre 1868, Auguste Tierny laisse la propriété du journal au baron Gabriel de Sède. Une nouvelle société est formée entre ce dernier, Walbert, directeur des Mines de Lens, Abel Raimbeaux, administrateur des Mines de Lens, Hippolyte Plichon, maire d'Arras, et Auguste Tierny. Ce changement de main ne signifie pas changement de ligne politique. L'ancien propriétaire s'empresse de rassurer ses lecteurs : « en remettant la plume à un successeur dont les services administratifs (9) et le mérite littéraire sont connus, écrit-il, [… le] Courrier du Pas-de-Calais […] ne change rien dans sa ligne de conduite. Cette ligne de conduite se résume, on le sait, dans les idées d'ordre et de conservation sociale que notre honorable prédécesseur et parent a inscrites dès le principe sur son programme et auxquelles nous nous sommes toujours efforcé de rester fidèle. »
Les conditions politiques ont cependant évolué, l'empire s'est libéralisé, et « tout Français majeur […] peut, sans autorisation préalable, publier un journal »… mais après avoir fait une déclaration et déposé un cautionnement. Les journaux se multiplient et s'enhardissent. En février 1870, le préfet du Pas-de-Calais douterait-il de la fidélité du quotidien arrageois ? L'un des actionnaires, le maire Plichon, l'apaise : « Le Courrier du Pas-de-Calais n'a pas de parti contre le ministère. Il est et restera gouvernemental ; il ne peut devenir un journal d'opposition. » Pourtant, il semble faire preuve d'un esprit qu'on ne lui connaissait guère : « Le Courrier, qui tiendra toujours à affirmer son indépendance, revendique le droit d'examiner et de juger avec modération, mais librement les actes des ministres… »
La chute de l'Empire en 1870 n'entame pas ses convictions. Malgré la disparition de Napoléon III en janvier 1873, il en reste convaincu : l'empire « qui sait allier l'autorité à la démocratie » est le meilleur système politique pour la France. Jusqu'à la mort du prince impérial en 1879, il croit même en une restauration.
Alors que le baron de Sède a laissé la direction à son fils Paul, le boulangisme se présente comme un nouvel espoir dans la lutte contre le régime. Mis à la retraite par le gouvernement, le général Boulanger, dont la popularité va grandissante, vole de succès électoraux en succès électoraux. À l'aube de l'année 1889, Le Courrier se montre optimiste : « En vérité, l'année qui commence sera l'année de la délivrance du peuple. […] année bénie, si - en attendant l'empire […],- elle nous donne au moins une république vraiment nationale, une république de plébiscite et de délivrance. » L'exaltation est à son comble après l'élection, à la fin du mois de janvier, du général Boulanger à Paris : « C'est donc en somme le triomphe de nos idées, triomphe légal et pacifique puisque le suffrage universel reste maître absolu de la situation.
C'est le coin de voile entr'ouvert, à travers lequel nous voyons le pays, rendu à lui-même, établissant un gouvernement populaire et fort qui réparera les ruines de la République. » Et d'entonner à l'unisson de tous les mécontents le refrain de la dissolution. Quelques semaines plus tard, la fuite du général Boulanger à Bruxelles laisse un goût amer au baron Paul de Sède : « l'impression a été mauvaise », mais l'ancien ministre de la Guerre n'a-t-il pas eu raison ? « D'ailleurs, conclut le rédacteur en chef du quotidien arrageois, le boulangisme ne disparaîtra pas, seul, le général Boulanger dut-il disparaître lui-même. »
L'EMPEREUR EST MORT, VIVE LE ROI !
Bonapartiste, Le Courrier le reste jusqu'à son rachat, en mars 1890, par la Société du Pas-de-Calais (10) qui édite le journal royaliste éponyme (Cf. notice Le Pas-de-Calais). Deux quotidiens d'opposition dans la même main, c'est un de trop ! D'autant que, comme l'écrit Pierre-Marie Laroche, le nouveau propriétaire : « Depuis quelques années, les deux journaux combattaient, l'un à côté de l'autre, se serrant les coudes, dans les mêmes combats. » Le Courrier ne doit de subsister, face au Pas-de-Calais, qu'à « la place exceptionnelle que lui ont faite, dans notre département, son ancienneté et la direction hors pair des Tierny et des de Sède… »
La physionomie du journal reste la même, le gérant garde sa place, mais le baron de Sède fait ses adieux à ses lecteurs. Le Courrier dont le sous-titre est devenu « Courrier et Pas-de-Calais réunis » épouse la cause monarchiste. Contrairement à une partie de la droite française, le quotidien arrageois n'est pas prêt à adhérer à la République dont il combat notamment l'anticléricalisme. La mort en 1894 du comte de Paris, prétendant au trône de France depuis la disparition du comte de Chambord quelque dix ans plus tôt, ne met pas fin à son espoir d'une restauration. « De par l'admirable puissance de l'hérédité monarchique, qui survit aux hommes et aux siècles, si les vrais rois meurent, le principe reste, clame en septembre 1894 le rédacteur en chef Arthur Martin. Il était hier. Il est aujourd'hui, incarné en la personne d'un prince jeune, entreprenant, hardi, le duc d'Orléans. »
L'affaire Dreyfus lui fournit une nouvelle occasion de se radicaliser contre la République. Lors de la condamnation du capitaine Dreyfus, Arthur Martin ne tient pas un langage moins virulent que la plupart de ses confrères de province: « Est-ce que cela ne vaut pas douze balles dans le dos ? ». Cette « banale » affaire d'espionnage lui permet d'exprimer son antisémitisme latent : « Pour nous résumer, poursuit le journaliste, il n'est pas de notre race, c'est un fils de Judas… » Après la dégradation du capitaine en janvier 1895, il réclame l'oubli devant un crime qui ne mérite aucune indulgence : « La composition du premier conseil de guerre, l'intégrité des juges, l'énormité de l'accusation, la solidarité militaire, l'absence - on pourrait presque dire le refus - de Me Demange lors de l'examen du pourvoi devant le conseil de révision, tout cela écarte jusqu'au soupçon d'une défaillance quelconque de la Justice. Dreyfus a été régulièrement jugé, régulièrement condamné, et régulièrement exécuté, selon toutes les rigueurs et les formalités de la loi. […]
Et maintenant Dreyfus est radié des cadres de l'armée française ; pour la nation, il est même retranché du nombre des vivants. Tout en le gardant bien dans une île perdue de l'Océan, jetons une pelleté de terre sur la mémoire et sur son nom. » Le Courrier emboîte le pas à Paul Déroulède dont la Ligue des patriotes vient de retrouver un second souffle. Le quotidien prend sa défense après le coup de force qu'il tente, en février 1899, contre l’Élysée à l'occasion de l'enterrement du président Félix Faure : « M. Déroulède avait aussi bien le droit de s'insurger contre M. Loubet et ses ministres que Gambetta et Jules Ferry contre le maréchal Mac-Mahon, que MM. Jules Favre, Gambetta, Crémieux et consorts contre Napoléon III. »
Tous les intellectuels antidreyfusards de renom tiennent chronique dans Le Courrier : Édouard Drumont, auteur de La France juive, François Coppé qui dénie à la République le droit de fêter le centenaire de la naissance de Victor Hugo, Paul de Cassagnac, Jules Lemaître, Émile Faguet… Le quotidien ne peut accepter la révision du procès de Dreyfus, au nom de la défense de l'armée et de l'ordre : « l'armée sera décapitée, prophétise Louis Desmoulins, le commandement supérieur discrédité, l'autorité des chefs avilie. Et c'est la cour de cassation qui aura déchaîné cet orage, c'est elle qui portera devant l'histoire la responsabilité des graves événements qu'elle aura provoqués. »
Contrairement à ce qu'il écrit, l'arrivée du gouvernement de Défense républicaine dirigé par Waldeck-Rousseau ne sonne-t-il pas le glas de ses espoirs de restauration ? : « Pour nous l'avènement de M. Waldeck-Rousseau et de la bande de bariolés et hétéroclite qu'il a enrôlée constitue l'une des plus heureuses fautes que l'on ait pu commettre. Ce sera la goutte qui fera déborder le vase, un pas énorme vers la dissolution et surtout vers une révision de la constitution qui permet de tels outrages au bon sens et à l'opinion publique. Et il ne nous déplaît pas que, pour cette besogne, ce cabinet de guerre et de représailles compte un échantillon de tous les partis de la Chambre car tous ont contribué à nous acculer dans l'impasse où nous étouffons et la responsabilité des uns est aussi grande que celle des autres. »
Dreyfus gracié depuis longtemps, Le Courrier n'en continue pas moins à crier justice pour la veuve du colonel Henry qui s'était suicidé après la découverte du faux fabriqué par lui, à poursuivre de sa haine tous les dreyfusards, et notamment le plus célèbre d'entre eux, fût-il mort. En janvier 1909, son rédacteur en chef Georges Lenoir s'indigne : « 1908 s'achève. Année terne et triste. […] Au milieu d'une foule hurlante de colère, ils ont charrié au Panthéon le cadavre de Zola. Le Grand Maître de l'université de France a célébré le chantre ignoble des fleurs de voirie et des chevaliers des fortifs tandis que les clairons sonnaient pour la gloire de l'insulteur de l'armée et de la patrie. »
Malgré ses appels à la mobilisation contre les « atteintes » à la liberté dont le pouvoir se rendrait coupable, le quotidien ne peut plus qu'assister à la montée en puissance de ses adversaires. À Waldeck-Rousseau succède, en 1902, Émile Combes : « ce cabinet est un cabinet radical homogène donc l'un des plus sectaires qui, depuis l'avènement de la République, ait été appelé à présider aux destinées de France. C'est un ministère de représailles et de combat à outrance contre les quelques libertés qui nous restent. » Les ministères qui suivent ne trouvent pas plus grâce à ses yeux. Lors de la nomination de Briand à la présidence du conseil en juillet 1909, Georges Lenoir trempe une nouvelle fois sa plume dans le vitriol pour présenter le nouveau promu et brosser un rapide tableau des différents chefs du gouvernement qui se sont succédé depuis Clemenceau. « M. Briand, écrit-il, est enfin premier ministre avec pour domaine particulier l'intérieur et les cultes. D'aucuns, en lisant cette nouvelle, se diront qu'un casier judiciaire noirci n'a jamais été un obstacle pour un homme sans scrupule. Parti de Saint-Nazaire avec une condamnation à la prison pour attentat à la pudeur, rayé comme indigne du barreau de sa ville, gréviculteur de profession, M. Briand, arrivé à Paris en casquette boueuse, monte aujourd'hui dans les carrosses de la cour élyséenne : le voila président du Conseil. Il complète la collection des présidents de ces derniers temps. Nous avions eu le défroqué, le financier tripoteur, le communard, il manquait l'apache, le voici enfin. »
UN JOURNAL ARRAGEOIS
À la veille de la Première Guerre mondiale, Le Courrier est une véritable institution mais une institution arrageoise seulement. En 1903, il a fêté le centième anniversaire de sa création avec messe, banquet et concert en présence de l'un des descendants du fondateur et sous la présidence du vicomte de Galametz, qui est à la tête du conseil de surveillance de la Société anonyme du Pas-de-Calais dirigée depuis 25 ans par Pierre-Marie Laroche.
Quelques mois plus tôt, le journal s'est installé, face à la nouvelle gare, dans un hôtel flambant neuf béni en mars 1902 par l'évêque d'Arras. La Société venait de quitter les 41 et 43 de la rue d'Amiens, acquis en 1876. Cet immeuble, ancien refuge de l'abbaye d'Étrun, construit en 1565 par les Dames bénédictines, avait été, de 1772 à 1792, le siège de la manufacture de Porcelaines d'Arras. C'est là que sous l'impulsion de Paul-Marie Laroche, avait été installée en 1879 la machine à réaction de Marinoni (11) dont la société s'était dotée et qui fonctionne toujours trente ans plus tard.
Quelques mois après la célébration du centenaire, Paul-Marie Laroche, laisse la direction au jeune ingénieur ICAM qui le secondait, Jules éloy. Celui-ci modernise l'outillage. En 1907, l'imprimerie commerciale découvre la trichromie. Elle s'enorgueillit d'une machine reproduisant un tableau à partir de trois couleurs. « La physique nous apprenait autrefois qu'il y avait sept couleurs fondamentales, explique Jules éloy à l'occasion de la sortie du calendrier 1908 du journal ; nous les avons épelées en regardant l'arc-en-ciel ; aujourd'hui il n'y en a plus que trois : le rouge, le jaune, le bleu. La superposition des trois nous donne la gamme complète de toutes les couleurs et voilà comment avec trois clichés photographiques reportés sur cuivre nous avons pu donner à notre calendrier toutes les teintes du tableau de l'artiste. » En 1909, Le Courrier est notamment pourvu d'une rotative Marinoni (12) capable d'imprimer un quotidien de 6 ou 8 pages à 12 000 exemplaires à l'heure « comme les journaux de province et les grands régionaux » annonce-t-il fièrement.
Dans son édition du 10 novembre 1909, Le Courrier présente son évolution technique. L'article est illustré de photos de cette nouvelle rotative, des linotypes, de la clicherie, de la façade du nouvel immeuble… Les perfectionnements se poursuivent jusqu'à la veille de la Première Guerre : la pagination se généralise à six pages, le nombre de colonnes augmente et l'emploi de la photographie est régulier en juillet 1914…
Malgré son titre, Le Courrier du Pas-de-Calais est cependant resté un quotidien dont la diffusion, comme ses confrères édités dans la préfecture du Pas-de-Calais, ne dépasse guère les limites de son arrondissement. Son tirage n'excède pas 2 000 exemplaires. Les titres arrageois doivent en effet faire face à la concurrence des journaux parisiens, mais aussi lillois qui se sont imposés comme de véritables régionaux avec la montée en puissance de la préfecture du Nord. Ils ont aussi suscité en leur sein leur propre concurrence. Ces quotidiens arrageois éditent, pour la plupart, un hebdomadaire qui s'est développé à leur détriment. Le Pas-de-Calais, publié par la même société, a ainsi un tirage de plus de 40 000 exemplaires (Cf. notice sur Le Pas-de-Calais Hebdomadaire).
C'est probablement sous le Second Empire que la diffusion du quotidien atteint son apogée. De 950 sous la Seconde République, le nombre des abonnés monte à près de 2 500 lors de l'empire libéral où le préfet note que « ce journal exerce une influence sérieuse sur l'opinion publique. » Cette remarque corrobore les propos tenus en février 1856 par Auguste Tierny : « de juillet 1854 à juillet 1855, Le Courrier a consommé 643 976 pages timbrées, ce qui élevait en moyenne, pendant l'année précédente, à 2 080 exemplaires notre tirage, qui est aujourd'hui de 2 230... » Dans un département qui envoya à la Chambre des députés bonapartistes jusqu'en 1885, Le Courrier semble en phase avec l'opinion, même si son tirage est en baisse après la chute de Napoléon III. En situation de quasi-monopole pendant quelques années, il est, dès le début de la IIIe République, en concurrence avec un journal monarchiste et plusieurs journaux républicains. Lors des dernières élections dominées par les conservateurs, en 1885, son tirage est de 1 800 exemplaires, et dix ans plus tard, il plafonne au même niveau avec 1 750 numéros dont 1 058 vendus par abonnement.
La qualité de la publication n'est pas en cause. Comme dans la plupart des journaux de province, les collaborateurs permanents y sont probablement peu nombreux. Leurs noms n'apparaissent qu'occasionnellement en bas d'un article. Avec les Tierny travaillent Caffin, Pradoux, Joncières, rédacteur en chef en 1848, parti suivre à Paris les événements de février et qui préfère y rester. Duprez, qui tient les rubriques régionale et locale, est encore au journal lorsque Gabriel de Sède en prend la responsabilité. Sous sa direction puis celle de son fils Paul, J. Mongruel est à la fois journaliste et gérant. Après le rachat du Courrier par la Société du Pas-de-Calais, la rédaction est successivement dirigée par Arthur Martin. Venu du quotidien lillois La Vraie France, il entre au Pas-de-Calais en 1889 avant de passer au Courrier où il meurt à la tâche en janvier 1907. Lui succèdent Georges Lenoir, puis Paul Deron.
Par contre, les collaborateurs extérieurs qui contribuent à la qualité rédactionnelle du titre sont variés. Outre ceux déjà été cités, des journalistes parisiens de renom donnant régulièrement une chronique ne manquent pas. Sous l'Empire, Silvestre de Savy (Journal des débats), L Boniface (Le Constitutionnel)…; sous la IIIe République, Maurice Talmeyr (L’Intransigeant), Cuéno d'Ornano (Le Petit Caporal), Ernest Judex (Le Petit Journal), Albert de Mun (L’Écho de Paris) … Tous appartiennent à des feuilles de droite, anti-opportunistes, impérialistes, nationalistes, voire protectionnistes comme Jules Roche (La République française), ou antisémites comme Louis Latzaru (L'Œuvre)…
Le journal recrute ses collaborateurs également en dehors de la sphère journalistique. Des hommes politiques nationaux, comme Charles Dupuy, ou régionaux, comme Maurice Tailliandier, participent au débat dans ses colonnes. Des historiens et des artistes locaux : d'Héricourt, Advielle, l'abbé Vandrival, Grandguillaume, etc. y apportent leur contribution…
Le dimanche 2 août 1914, toute la « une » du Courrier est consacrée à la guerre. En dernière heure, le quotidien annonce « la proclamation de la mobilisation générale ». Le mardi suivant, il en appelle à l'union de tous les Français : « Au moment où se déclenche cette guerre prévue depuis 44 ans, attendue par les exilés d'Alsace-Lorraine comme l'acte de délivrance, par les patriotes français comme le devoir le plus absolu, il est superflu de faire appel au dévouement de tous. […]
Et maintenant, unissons-nous tous et serrons les rangs ! Tous debout pour la chère France, la Patrie bien-aimée. Qu'une seule pensée domine nos préoccupations qu'un seul cri éclate, résumant l'union des âmes et des cœurs : Vive La France ! »
Le 21 août, le journal paraît avec un liseré noir annonçant le mort du pape Pie X. En octobre, l'immeuble de la place de la Gare est bombardé et Le Courrier se tait pour près de cinq ans.
LE MILLION… !
La reparution en mars 1920 se fait dans des conditions difficiles. L'entreprise a trouvé refuge dans les locaux de la Société Schoutheer frères, rue des Trois-Visages, seule imprimerie épargnée par la guerre et que la Société du Pas-de-Calais vient de racheter. La rédaction s'est installée dans un immeuble boulevard de Strasbourg. Plusieurs collaborateurs du journal ont été tués au combat dont son jeune rédacteur en chef Paul Deron.
Dans le premier numéro du Courrier, devenu « organe de défense et d'union pour la reconstruction des régions libérées », Jules éloy prêche, à l'instar de beaucoup de ses confrères, l'union de tous les Français : «