Croix de Roubaix-Tourcoing (La)
La Croix de Roubaix-Tourcoing
Formé par la fusion de : La Croix du Nord. Édition de Roubaix et La Croix du Nord. Édition de Tourcoing qui reparaissent le 13 août 1914
Un quotidien catholique et antisémite, La Croix du Nord.
La Croix de Roubaix-Tourcoing n’est qu’un avatar de la Croix du Nord, elle-même issue de La Croix quotidien catholique national. Ce dernier journal avait été fondé par les Assomptionnistes le 16 juin 1883. Très bien organisée, la diffusion de la Croix, et de la bonne presse en général, reposait sur des comités de propagation, qui recrutaient des porteurs et des crieurs, et collectaient les abonnements. La vision du monde des Assomptionnistes était très conservatrice, voire franchement réactionnaire : la continuelle dénonciation du progrès avilissant, de la décadence des mœurs, l’exaltation des vertus de l’ordre et du travail, des mérites de la paysannerie et le regret du bon vieux temps d’avant 1789[1] en fournissent une preuve éclatante, au point de faire douter de son ralliement à la République, malgré les instructions de Léon XIII. La Croix avait été boulangiste après 1887. Elle fut violemment antidreyfusarde et antisémite. En 1898, La Croix s’engagea derrière les comités justice-égalité. Waldeck-Rousseau ne le pardonna pas, et la congrégation des Assomptionnistes fut dissoute. Le pape exigea le départ du père Bailly. La Croix passa alors entre les mains de Paul Fréron-Vrau, grand industriel du Nord, ardent militant catholique, qui accordait une grande importance à la presse ; La presse, et par la presse il faut entendre le livre, la brochure et le journal, prend chaque jour pour l’apostolat catholique une importance plus considérable …[2]. Il était en accord avec le congrès catholique d’Arras de 1901, qui affirmait La base de toute organisation, le fondement de toutes les œuvres c’est la presse, la première de toutes les œuvres… [3].
La violence antisémite du quotidien est dénoncée par ses adversaires, tel Anatole France : Pour exploiter l’affaire, ils lancèrent leur journal La Croix rédigée dans le style du Père Duchesne et qui portait pour vignette, au lieu d’un marchand de journaux, Jésus crucifié; et ce symbole donnait, pour l’égarement des simples, l’onction d’un texte édifiant et la majesté des formes liturgiques à leurs sales injures, et à leurs abominables calomnies. Bientôt des Croix parurent dans tous les départements, qui répandirent dans les campagnes, avec l’image du Christ, le mensonge et l’outrage...[4]
Les Croix du Nord étaient aussi antisémites. Elles soutiennent la création du Comité national anti Juifs de Drummont, (Les antisémites sont près à faire alliance avec tous les Français de bonne volonté qui veulent secouer la tyrannie juive, 22 octobre 1901) ; et on pourrait citer une longue litanie de propos antisémites ; en voici quelques-uns, pris au hasard : L’Égalité… la feuille enjuivée -6 novembre 1901; Qu’il doit à un député juif et franc-maçon…, 11 août 1901; Il est bien heureux que la France catholique ne règne pas sur Jérusalem, car en raison du suffrage universel, nous serions livrés aux Juif, comme en Algérie…, 22 septembre 1901 ; Le Réveil du Nord est une feuille juive (9 janvier 1914). etc., etc. Terminons sur ce morceau de bravoure : Une pièce infâme. Il n’entre pas dans notre dessein d’empêcher que les maçonniques tribus d’Israël aillent se régaler de cette ordure [...] Elles bavent déjà. [...] Qu’Issachar et que Zébulon, sans oublier Juda [...]. 15 janvier 1914.
1.2 La Croix : le journal.
La Croix du Nord, avait été fondée le 21 novembre 1889 par l’abbé Masquelier. Christian Cassette raconte[5] comment fut emporté la décision de lancer le nouveau journal : L’abbé Masquelier était allé s’ouvrir de son projet à Monseigneur Carlier, évêque de Cambrai ; Celui-ci lui aurait répondu En tout autre temps, je m’opposerais à ce projet. Mais l’Église est attaquée tous les jours par la presse, l’Église doit se défendre. Je vous autorise à vous rendre à Lille pour fonder et diriger La Croix du Nord. L’abbé Masquelier voulait un ordre que son supérieur se refusait à donner. L’abbé tourna alors le problème : Désirez-vous cette création ? demanda-t-il ? Oui ? Vos désirs sont pour moi des ordres. Et la messe fut dite.
Les craintes de l’évêque étaient fondées. Cette même année avait été créé Le Réveil du Nord, qui venait s’ajouter à d’autres journaux anticléricaux. Mais l’Église était défendue, dans le Nord, par La Vraie France et Le Journal de Roubaix entre autres….
Le nouveau périodique reçu l’aide de La Vraie France, organe royaliste lillois, et de Philibert Vrau, son propriétaire. Il était au départ sur les machines de La Vraie France. Rapportons, après Christian Cassette une anecdote qui donne la couleur du temps. Ce périodique venait de remplacer sa presse par une rotative. Cette machine avait servi à imprimer Le Figaro sur la première plate-forme de la tour Eiffel pendant l’exposition de 1889. Transportée à Lille, la presse avait reçu une fervente et copieuse bénédiction, destinée à purifier ses usages trop profanes …
En 1892 paraissait une édition pour Roubaix-Tourcoing. Et le journal installe un bureau au 84, Grand-rue, signalé dans le guide Ravet-Anceaux de 1897. On peut signaler qu’il existait une édition quotidienne en flamand de La Croix du Nord sous le titre Het vlaamsch Kruis : voor de Flamingen von Frankreich, destinée, selon le secrétaire général de la préfecture, dans un télégramme chiffré au ministre de l’intérieur du 6 avril 1894[6], à maintenir l’influence du clergé dans le pays flamand. Je ne sais pas si ce périodique était distribué à Roubaix. Il n’est pas sûr d’ailleurs que les Flamands de Belgique auraient pu le lire, compte tenu des différences entre les dialectes.
En 1900 La Croix du Nord devenait quotidienne. Elle était, par ses idées politiques, comme par ses propriétaires qui appartenaient aux milieux patronaux du textile, très proche du Journal de Roubaix, nous dit l’Histoire générale de la presse française[7].
En 1901, l’abbé Bertroye, qui signait Franc, ancien rédacteur en chef de la Croix de l’Ardèche, remplace Masquelier à la direction du journal, ce dernier restant collaborateur
Jusqu’en avril 1902 La Croix du Nord était imprimée sur quatre pages de petits format (45,1x29,8 cm), la quatrième étant réservée à la publicité, alors que dès 1887 Le Journal de Roubaix et Le Progrès du Nord avaient adopté le grand format des journaux parisiens. En 1900 la dissolution de la congrégation des Assomptionnistes était prononcée ; Paul Fréron Vrau se porta immédiatement acquéreur du groupe de La Bonne presse. Acquisition d’un homme de paille : les Assomptionnistes lui avaient fourni la plus grosse part de l’argent nécessaire…
Le 3 mai 1912 La Croix de Paris et La Croix du Nord fusionnaient, donnant naissance à un seul quotidien de quatre à six pages, Paris et Lille se partageant équitablement la surface utile. La Croix du Nord cessera de paraître le 2 août 1914.
1.2.1 La Croix de Roubaix
On trouve, dans L’Almanach du Journal de Roubaix pour 1913 (page 75), une nécrologie de Aimé Diligent, père de Victor et grand-père d’André, mort le 5 décembre 1912. On y apprend que, franc-tireur à Thionville en 1870, venu de Lorraine à Roubaix pour rester français, il fut douze ans instituteur aux côtés de Faidherbe. Bon citoyen, patriote ardent, il prit rang dans l’avant garde de ceux qui combattaient les menées révolutionnaires. Membre du comité de l’Union sociale et patriotique, il fut aussi, et c’est ce qui nous intéresse ici, un collaborateur distingué de La Croix de Roubaix sous le pseudonyme de Lorrain.
1.3 La diffusion de La Croix.
On sait peu de chose sur le tirage de La Croix du Nord. M. Visse avance le chiffre de 25000 exemplaires en 1896.
La Croix bénéficiait outre les moyens commerciaux de diffusion des journaux, d’un réseau de diffuseurs volontaires, embrigadés dans une œuvre, les Chevaliers de la Croix. Nous pouvons lire, dans le numéro du 26 février 1902, que le nouveau local qui leur est affecté vient d’être béni[8]. Et le rédacteur de poursuivre : Et maintenant, les chevaliers plus vaillants que jamais vont se mettre à l’œuvre pour la propagande de la Croix…. Et nous savons que ces « chevaliers » agissaient à Roubaix, grâce à La Bataille du 18 juin 1910, qui les rencontre dans le quartier du Cul-de-four, comme ils agissaient ailleurs : grâce au zèle de nos amis, le chiffre des Croix vendues[ dans les gares] augmente sensiblement. Mais ses ennemis soulignent aussi les ventes forcées aux ouvriers qui n’en peuvent mais, dénonciation qu’on retrouve jusqu’au niveau national dans L’Assiette au beurre, sous le crayon de Delannoy[9], aussi bien que dans La Bataille (chez Wibaux, chez Motte-Bossut, chez Amédée Prouvost, l’infect journal La Croix y est obligatoire –19 novembre 1909).
Comme pour les autres journaux, les choses deviennent difficiles au fur et à mesure que la guerre se rapproche. Le 5 août 1914, le quotidien s’adresse à ses dépositaires : Certaines autorités civiles ont prétendu interdire aux dépositaires et vendeurs régulièrement admis au colportage de mettre en vente les journaux qui leurs sont parvenus par automobiles ou par toutes autres voies. La liberté de la presse et la vente des journaux existent toujours.
1.4 Les idées défendues par les Croix.
1.4.1 La Croix, organe de défense de l’Église catholique.
Nous venons de voir dans quelle circonstance était née La Croix et la Croix du Nord. Il semble inutile de s’étendre beaucoup sur le sujet. Rappelons pourtant que La première page s’ornait d’un grand crucifix, accompagné de la devise tout d’abord Christus vinci, puis Adveniat regnum tuum..
1.4.2 Les Croix et la Franc-maçonnerie.
Pour La Croix, l’ennemi c’est d’abord la Franc-maçonnerie, l’armée du diable. Les quotidiens n’hésitent pas à stigmatiser les Francs-maçons, en publiant des listes de frères avec noms et adresses. Les premiers visés sont naturellement Georges Robert, du Progrès du Nord et Siauve-Evausy du Réveil du Nord, représentants exemplaires de cette presse et des politiciens aux ordres et aux gages des Juifs et des Francs-maçons.
1.4.3 La Croix, quotidien anti-socialiste.
La Croix était antisocialiste, allant jusqu’à écrire que les ouvriers ne pouvaient rien comprendre à l’incohérence des maîtres de la doctrine socialiste, comme le relève La Bataille (10 juillet 1909). De plus, ces ouvriers savent par cœur, et répètent comme des perroquets toutes les vieilles rengaines et tous les vieux clichés anticléricaux qui emplissent les colonnes des journaux juifs comme l’Égalité, ou francs-maçons comme l’Avenir… -15 mars 1902. Mais tout cela est logique : Le parti socialiste est avant tout un parti sectaire […] entre les mains de la juiverie franc-maçonne -21 juin 1902. Notons au passage que La Croix semble échapper quant à elle aux reproches de sectarisme, qui imprime : Depuis deux ou trois ans, aux environs du mois d’août, les apaches se donnent rendez-vous à jour fixe autour de la statue d’Etienne Dolet, -je dis justement- condamné pour assassinat et autres crimes répugnants… (3 juillet 1903) ! La présence et l’action de Welhoff permettent à La Croix de penser et d’écrire que Le Réveil et L’Égalité vivent des subsides fournis par les commerçants juifs de Lille et de Roubaix, comme le relève Danielle Delmaire[10]. Elle reproche également aux socialistes leur manque de patriotisme et leurs tentatives de démoralisation de l’armée (Tous les conscrits de Roubaix viennent de recevoir par la poste le journal socialiste révolutionnaire et antipatriotique Le Conscrit… -15 octobre 1901). Il est vrai que les anarchistes ne sont pas mieux lotis : Les anarchistes de Roubaix, à propos du tirage au sort ont fait distribuer en ville une feuille ignoble ayant pour titre Au fumier le drapeau… (2 février 1902).
1.4.4 La Croix, journal anti-républicain.
La Croix est aussi anti-républicaine, même si elle dissimule cette aversion sous de fausses raisons (« Malheur aux pauvres sous la fausse république des Juifs et des Francs-maçons… -16 février 1903). Là aussi rien d’illogique, puisque les protestants sont au pouvoir … avec les juifs (17 octobre 1902). Mais le journal sait préparer les élections : On peut se procurer en nos bureaux [ …] un petit tract électoral de toute actualité, Aux urnes citoyens!!!. Seize pages avec des gravures. Prix 1 exemplaire 0,05F. les dix 0,30F… On peut les acheter par cent, par mille… Et la Croix d’ajouter : Il faut faire l’éducation des électeurs, si nous voulons avoir de bonnes élections. Il est temps de s’y mettre. (23 décembre 1901). Bien entendu, La Croix prend sa part dans la lutte contre l’enseignement publique, dénonçant La Ligue maçonnique de l’enseignement, ou apprenant à ses lecteurs que l’action d’une association des pères de famille a obtenu le déplacement d’un instituteur « sectaire » (6 juillet 1907).
Le 1er juillet 1905, La Croix publie des photos des manifestations d’Odessa, rejetant la responsabilité du massacre sur les meneurs. Elle soutient l’Action Libérale populaire et le général de Castelnau ; elle soutient aussi le sectionnement à Roubaix[11], qui pourrait favoriser la droite, ainsi que les syndicats indépendants. Elle couvre les congrès régionaux des jardins ouvriers de l’abbé Lemire, traite de colombophilie, dénonce la persécution religieuse, les inventaires et les enterrements civils.
Tous les catholiques n’approuvèrent pas les Assomptionnistes et leurs périodiques, témoin cette sortie de Léon Bloy, dans son journal[12]. Ont-ils assez avili le sentiment religieux avec leur Croix et leur Pèlerin ! Les intelligences catholiques habituées à cette nourriture, véritable pâtée à cochons, sont devenues incapables d’en supporter d’autres, et on peut dire avec certitude que l’abjection intellectuelle et morale des catholiques actuels est en grande partie l’ouvrage de ces prêtres abominables qui ont fait fortune en profanant le Signe de la rédemption.
1.4.5 La Croix, quotidien antisémite
Bien des fois nous avons demandé à nos lecteurs et amis de ne pas acheter chez lez Juifs. Nos efforts ont été en partie couronnés de succès… De tels communiqués de victoire ne passent pas inaperçus : C’est L’Avenir de Roubaix-Tourcoing (25 janvier 1901) qui le reprend du Réveil Égalité, citant lui-même La Croix du Nord… Et le journal n’est guère favorable à Dreyfus. Le 13 juillet, La Croix imprime l’arrêt de la Cour de cassation innocentant Dreyfus. Pas de commentaire, mais, in cauda venenum, une simple phrase à la suite du texte : Le plus glacial silence a accueilli la lecture de cet arrêt. Et le lendemain, La Croix revient à la charge : Depuis hier à midi, le ci-devant traître Dreyfus n’est plus traître, il est blanc comme neige…; Le 14 juillet, elle met en doute l’impartialité du procès : seule, la partie a été entendue, les contre-parties ont été écartées; de toute façon, le jugement ne vaut rien; seul un tribunal militaire aurait pu prononcer un jugement valable. Et La Croix se chargera d’expliquer pourquoi le gouvernement a fait blanchir Dreyfus : S’apitoie-t-on avec tant de fracas sur les victimes d’erreurs judiciaires, s’interroge le journal; Non. Il en résulte que les apitoiements spéciaux à Dreyfus n’émanent pas de la pitié, que les indignations contre ses juges n’émanent pas de la conscience, et que l’ébranlement de l’institution des tribunaux militaires est le seul but de ces superbes révoltes de conscience (17 juillet).
Pourtant, au total, l’influence du quotidien catholique dans ses divers avatars n’est, pas négligeable. Danielle Delmaire estime qu’un dixième de la population adulte de la région lisait ou feuilletait ce quotidien.
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[1] Histoire générale de la presse française. T. 4 pp. 336
[2] Paul Fréron-Vrau, in : La Croix; 6 février 1903.
[3] La Croix de Roubaix-Tourcoing; 5 août 1901.
[4] France, Anatole. - Le parti noir. - Paris : L’Harmattan, 1994. - 63 p. - (Les introuvables). -Page 10.
[5] Cassette, Christian. – Un quotidien régional d’opinion de la naissance à la mort, La Croix du Nord. – École supérieure de journalisme de Lille. – Mémoire de fin d’études.
[6] A.D.N.: M 192 1
[7] Tome 3, page 403.
[8] Voir également le compte-rendu du septième congrès des Chevaliers dans La Croix du 2 juillet 1903
[9] Voire le n° 66 de cette publication, intitulé : Notre-Dame de l’usine.
[10] Delmaire, Danielle. - Antisémitisme & catholiques : dans le Nord pendant l’Affaire Dreyfus. - [S.l.] : Presse universitaire de Lille, 1991. - 277 p. (Les références à La Croix du Nord sont extrêmement nombreuses dans cet ouvrage)
[11] Roubaix était divisé en trois sections, chacune élisant une partie du conseil municipal, ce qui, grâce à un savant découpage, favorisait la droite. De telles pratiques ont heureusement disparu de nos mœurs politiques.
[12] Bloy, Léon. – L’invendable. – 28 avril 1904.