Artésien (L')
L’Artésien. Bulletin commercial, industriel et agricole. Journal littéraire et artistique paraissant tous les dimanches puis le samedi
Installé Petite Place à Arras depuis 1877, l'imprimeur et libraire Sueur-Charruey, spécialisé dans les publications religieuses, lance en 1879 un hebdomadaire dont l'ambition est différente des trois quotidiens politiques locaux. Épousant un format assez proche de celui de ses confrères, L'Artésien se veut, comme l'indique ses sous-titres, « Bulletin commercial, industriel et agricole » et « Journal littéraire & artistique ».
Vendu 5 centimes le numéro, il paraît tous les dimanches. Le prix de l'abonnement, payable à l'avance, est de 3 francs par an. L'Artésien, dont la collection conservée aux archives départementales du Pas-de-Calais accuse de nombreux manques, ne sacrifie qu'à de très rares occasions à l'actualité nationale ou internationale. Fait exceptionnel, la mort du comte de Chambord est annoncée sur toute la largeur de la « une », le 26 août 1883. Dix ans plus tard, l'annonce de l'assassinat à Lyon de Sadi-Carnot n'occupe qu'une colonne et l'essentiel de l'article est consacré à la délégation du Pas-de-Calais qui assistera aux funérailles du président de la République et à la souscription lancée par le quotidien L'Avenir pour l'achat d'une couronne. L'élection de Casimir-Périer n'a droit qu'à une quinzaine de lignes. À l'occasion de la mort de Félix Faure, en février 1899, le journal paraîtra entouré d'un liseré noir, il est vrai qu'un an plus tôt, il avait eu l'occasion de rendre compte de la visite du président de la République à Arras et à Lens. L'Artésien se pare une nouvelle fois de noir pour l'annonce, sur deux colonnes, de la mort en juillet 1903 du pape Léon XIII.
FAITS DIVERS ET NOUVELLES RELIGIEUSES
L'Artésien est plus sensible aux grands événements quand ils marquent la vie de la cité. L'arrêt de Félix Faure, pendant un quart d'heure, en gare d'Arras lors de son départ pour la Russie en 1897 est longuement relaté, l'inauguration de la nouvelle gare et des quartiers avoisinants occupe toute la première page en 1898, le voyage de Millerand dans le Pas-de-Calais est suivi par le journal… Mais l'hebdomadaire de Sueur-Charruey ne se départit pas d'une certaine prudence ignorant les sujets sensibles. Lorsque s'ouvre le deuxième procès Dreyfus qui divise la presse politique, il préfère consacrer un long article à " Charles de l'Escluse, propagateur de la pomme de terre en Europe ". Et lors des élections législatives, municipales et sénatoriales de 1902, il s'en tient aux résultats sans commentaire.
Quant à la revue de la semaine dans la région, à côté des faits divers, elle fait surtout une large place aux nouvelles religieuses. Les comptes rendus des différentes fêtes religieuses, de funérailles de prêtres y sont réguliers et abondants. Au fil des années, les lecteurs de L'Artésien ne perdent rien de la carrière du vicaire Sueur… Les événements religieux majeurs : sacre du nouvel évêque, Mgr Willez (11 septembre 1892), fêtes de Jeanne d'Arc (novembre 1894), inauguration de la statue du père Halluin (mai 1896) ont bien sûr une place de choix.
Bulletin commercial, industriel et agricole, l'hebdomadaire arrageois propose à ses lecteurs une revue commerciale, les cours du marché aux bestiaux d'Arras, les cours des bourses de Paris et Lille « communiqués par la maison S. Robert », ainsi que ceux du marché d'Arras. À l'occasion, il ne dédaigne pas la publicité financière. Dans son numéro du 28 novembre 1880, il annonce ainsi l'émission de 590 000 actions à 500 F pour le canal de Panama.
Les ouvrages vendus à la librairie Sueur-Charruey bénéficient d'une large promotion. La rubrique « bibliographie » leur est entièrement réservée. En décembre, les annonces pour les « occasions exceptionnelles » en vente à la librairie peuvent, sous le titre du journal, occuper toute la largeur de la « une ». Du 5 mai au 3 novembre 1889, c'est une réclame pour l'œuvre de l'historien Edmond Lecesne, Arras sous la Révolution, « en trois volumes grand in-8°, vendue au prix de 24 F », qui revient en première page chaque semaine. Sueur-Charruey n'hésite pas à faire la promotion de tous les produits vendus dans son établissement : almanachs, calendriers de bureau, agendas, cartes de visite…
LE REFLET DE LA VIE CULTURELLE
L'Artésien est d'abord un journal littéraire et artistique. Concerts de la Société des orphéonistes, expositions de l'Union artistique… tous les événements culturels arrageois font régulièrement l’ouverture de ses colonnes. Les activités de la plupart des sociétés culturelles au sens le plus large : Académie d'Arras, Société de géographie, des orphéonistes, mais aussi des carabiniers d'Artois, de gymnastique, artésienne d'horticulture… et cercle catholique y sont relatées. Le journal fait d'ailleurs preuve d'un bel esprit d'éclectisme consacrant aussi bien sa « une » au concert des orphéonistes qu'aux courses sur l'hippodrome d'Arras. De mai à septembre 1904, l'exposition du Nord de la France est l'objet d'un suivi particulièrement soigné.
Des membres de sociétés savantes arrageoises ou plus généralement du département : Académie, Union artistique, Commission des monuments historiques… contribuent à la rédaction du journal. L'historien A. de Cardevacque y donne des textes sur les châteaux de Bailleulval, Bailleulmont… illustrés par Julien Boutry. Les expositions de l'Union artistique sont commentées par Victor Advielle ou par Constant Le Gentil-Crespel… Juge arrageois, membre de l'Académie, ce dernier est l'un des collaborateurs réguliers de L'Artésien durant les dernières années du xixe siècle. L'avocat Félix de Monnecove, président de l'Artésienne, publie plusieurs poèmes dont l'un à la gloire de l'automobile. D'autres rédacteurs y participent encore signant simplement de leurs initiales ou probablement d'un pseudonyme JS, Z, GA, Gara, J. Fus, Reissarc, Gaston de Nizac…
En 1900, L'Artésien relaie les cours « d'extension universitaire » donnés par des membres de l'université catholique de Lille dans la préfecture du Pas-de-Calais où Eugène Duthoit évoque « le suffrage de demain », le chanoine Didiot, vice-recteur, « Mgr Dupont des Loges, évêque de Metz », le doyen de la faculté de médecine Henri Duret, « la formation anthropologique de la nation française », le baron Henry Dard, président de l'association des étudiants des facultés libres de Lille, « le droit d'association »…
UN JOURNAL POLITIQUE
Sous la direction de Sueur-Charruey, L'Artésien ne connaît pas d'évolutions remarquables. En 1887, son jour de parution passe du dimanche au samedi. En juin 1894, le siège du journal est transféré en même temps que la librairie et l'imprimerie, 10, rue des Balances. Alors que l'hebdomadaire est dans sa trentième année, il change de main. Ce changement de propriétaire en 1906 marque une évolution sensible.
Sous la direction d'Henri Lanthier, nouveau gérant, imprimeur et rédacteur en chef, L'Artésien s'agrandit, son format passe à 46 x 59 cm, son nombre de colonnes de 5 à 6, mais surtout il se politise. S'ouvrant par un éditorial, L'Artésien devient « Journal politique et littéraire ». Lorsque Lanthier prend la plume, c'est pour célébrer l'anniversaire de la mort du général Boulanger, s'élever contre les protestations en faveur de Ferrer (1), dénoncer le sabotage de la neutralité instituée par Jules Ferry dans les manuels scolaires.
Le journal prend une coloration nationaliste qui s'exprime plus ou moins régulièrement dans ses éditoriaux. Il fustige « les monopoles d’État », « les pacifistes dangereux », « l'insécurité publique ». En septembre 1911, l'explosion du cuirassé La Liberté en rade de Toulon, qui fait 110 morts, de nombreux blessés et disparus, est l'occasion de s'en prendre à Jean Jaurès. L'éditorialiste Marcus accuse : « La Liberté était commandée par l'officier Jaurès (2) dont les états de service sont aussi beaux que ceux de son frère. » La position de Jaurès dans la crise marocaine pèse lourd et comme toute la presse nationaliste, L'Artésien se fait virulent, invective le député du Tarn : « Aucun pays n'est travaillé par l'anarchie comme le nôtre. On autorise tous les appels à la désertion, à la révolte, au sabotage.
Vous avez semé le vent vous récolterez la tempête et plaise à Dieu que cette moisson de morts soit la dernière leçon qui soit donnée à notre pauvre pays qui meurt de la propagande meurtrière de ses ennemis ! »
Même les choix littéraires du journal arrageois sont empreints de cet esprit nationaliste. En 1909, Émile Poiteau entame, dans un supplément encarté dans l'hebdomadaire, une série de portraits d'écrivains. Ces « Figures contemporaines » présentent Léon Daudet, Paul Bourget, René Bazin, Henry Bordeaux, Maurice Barrès… autant d'auteurs qui ont embrassé la cause nationaliste. En 1912, Marcus réclame la consécration légale de la fête de Jeanne d'Arc.
La formule subit d'autres évolutions. En 1908, le journal prend comme devise « Vers le peuple pour le peuple ». Comme beaucoup de quotidiens, sa « une » s'ouvre par une colonne d'informations de « Dernière Heure », puis par un dessin humoristique. En janvier 1909, avec la Crème Simon, la réclame fait son apparition en première page, en bas à droite. À partir de 1910, le feuilleton paraît sous forme de supplément. De nouvelles rubriques, à l'existence plus ou moins longue, apparaissent au fil des années comme les « confidences d'un Arrageois » signées du Beffroi, la chronique médicale de la doctoresse Martha Celse, les propos de Tante Rosalie (qui a déjà sévi dans d'autres titres arrageois), les contes de la semaine d'Évariste Carrance.
Durant la dernière décennie avant la guerre, les signatures, qu’on retrouve dans d’autres titres de la région, sont relativement nombreuses, mais passent parfois très vite : E. Bertauld, P. Bernières, J. Étais, P. Henry, Léonce Georges, Paul Dupont, Albert Acremant, Paul Avril, Jean Corneille, Henri Cambeil, G. de Gier, Alpinien de La Tour, Georges Price, Paul Ardenne…
Lors de la déclaration de guerre, en août 1914, la pagination est réduite à deux pages. Le temps de dénoncer les atrocités commises par les Allemands en Belgique et à la frontière, L'Artésien publie un dernier numéro le 23 août et disparaît à tout jamais.
(1) Anarchiste espagnol, chef du mouvement anticlérical. Impliqué à tort dans les émeutes antireligieuses de Barcelone en juillet 1909, il sera condamné à mort et exécuté.
(2) Louis Jaurès est capitaine de vaisseau sur La Liberté. Il est en congé régulier lorsque l'explosion se produit.