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FEUILLE DE ROUBAIX (LA)

La Feuille de Roubaix. Affiches, annonces et avis divers

1.1 Le périodique.
Le dimanche 2 août 1829 sortait des presses d’Hippolyte Beghin, premier libraire roubaisien (par procuration[1]), et premier imprimeur de la ville, le premier numéro du tout premier périodique roubaisien : La Feuille de Roubaix. Affiches, Annonces et Avis divers[2]. Ce bihebdomadaire vécu six mois, pour être remplacé par Le Narrateur roubaisien à partir du 3 janvier 1830.

La Feuille de Roubaix ne laissa pas une grande trace dans la mémoire des Roubaisiens, ni dans l’Histoire. L’anonyme rédacteur de L’Écho de Roubaix, Lesguillon peut-être, décrivant les débuts de la presse à Roubaix, trente-cinq ans après la naissance et la mort rapide de ce périodique, n’en fait pas mention, et fait commencer l’histoire du journalisme avec Le Narrateur roubaisien. Ignoré de même par Lepreux, il figure bien par contre, dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France, publié sur cd rom.

La Feuille de Roubaix se présente sous la forme d’un cahier de seize pages pour les premières livraisons, et de huit ou douze pour les suivantes. Ces pages mesurent 208 mm de hauteur. Le premier périodique roubaisien, loin de ressembler à un journal est beaucoup plus proche des canards ou occasionnels qu’on débitait alors sur le marché de Roubaix, ou de la presse périodique d’avant la Révolution[3]. Imprimé pleine page, avec une pagination courant d’un numéro à l’autre, de 1 à 360, il ressemble également à une revue.

Sous le titre, assez discret, deux bandeaux. Le premier contenait le nom des saints pour la moitié de la semaine, La Feuille de Roubaix paraissant les dimanches et jeudis. Le second rappelait que les textes devaient être remis au plus tard les samedis et mercredis avant midi, pour figurer dans le numéro du lendemain; il en coûtait quinze centimes par lignes. On y trouvait également les tarifs d’abonnement, neuf francs par semestre, seize francs pour un an, ce qui était une belle somme. À noter qu’il n’est pas prévu de vente au numéro, et que la Feuille est remise à domicile et sans frais aux abonnés de Roubaix, Tourcoing et Lannoy.

Les premières pages étaient occupées par des annonces : biens à vendre ou à louer, réclames pour des assurances, des pensionnats ou pour les Archives historiques et littéraires du Nord de la France et du midi de la Belgique. Puis viennent des nouvelles et des anecdotes, la plupart sans liens avec Roubaix, et sans indication d’origine. On trouve pourtant dans les quarante-trois numéros parus quelques articles relatifs à Roubaix : une nécrologie de Floris Dessaint, capitaine d’Empire, dans le n°1, quelques indications sur des fêtes, bals ou spectacles, et, parfois, un fait divers : un incendie (n°5), un suicide (n°20); au total, bien peu de renseignements sur notre ville. On trouve enfin, en dernière page un jeu, logogriphe ou charade, et une mercuriale des marchandises en gros sur le marché de Lille.

1.2 Hippolyte Béghin et son périodique.
Lorsque naît La Feuille de Roubaix, la ville compte 15 à 16 000 habitants; leur nombre vient de doubler en vingt-cinq ans. Intellectuellement, Roubaix était un désert. On ne comptait encore que peu d’œuvres sorties de plumes roubaisiennes. Ni bibliothèque, ni musée et un seul libraire –(Béghin lui-même)- vendant seulement des livres de piété, écrit Jean Piat[4]. Et il ajoute, citant l’académicien Etienne Jouy (1827) : Toute au commerce et à l'industrie, cette ville est entièrement étrangère aux sciences, aux arts et aux lettres. Une seule libraire donc, Mme Beghin Defrenne, depuis le 11 juillet 1826. Hippolyte Beghin s’étant vu refuser un brevet, au prétexte qu’il était pharmacien, son épouse s’était substituée à lui. Mais ce dernier avait obtenu facilement un brevet d’imprimeur en lettres, le 14 février 1829, Roubaix et Tourcoing étant dépourvues de ce genre d’activité. Fils d’un bijoutier douaisien, H. Beghin était un notable, avant même de devenir imprimeur.

Beghin installa, selon M. Piat dans son article déjà cité, une presse à bras en bois, construite par les frères François, Joseph et Lois Lemesre, dans la Grand-Rue, où il avait déjà sa librairie -enfin celle de sa femme- et sa pharmacie.

« Une Imprimerie vient de naître à Roubaix, et l’activité de ses presses indique déjà qu’elle remplit une lacune. Les habitans (sic) de cette ville, ceux de Tourcoing, de Lannoy et des communes environnantes, trouveront désormais dans cet établissement les avantages et les facilités qu’ils étaient obligés d’aller chercher à Lille pour les impressions de tous genres, écrit Beghin dans le prospectus de la Feuille de Roubaix, qui a été relié avec la collection du périodique possédée par la médiathèque. La situation n’était pourtant pas aussi florissante que ne le dit Béghin, et maire et préfet se serviront en 1842 de l’argument selon lequel l’imprimerie Beghin n’avait pas une bien grande activité pour refuser l’ouverture d’une deuxième imprimerie à Defaillies.

Quoi qu’il en soit, posséder une presse pousse à imprimer, et l’idée de créer un journal vient vite aux imprimeurs du temps. Il en sera ainsi pour Mathon de Tourcoing et son Indicateur de Tourcoing, puis de Tourcoing et Roubaix, pour Reboux, deuxième imprimeur roubaisien et son Journal de Roubaix, ou pour Lesguillon et son Écho de Roubaix. Toutefois de bons esprits ont pensé que pour étendre les avantages dont notre Imprimerie doit devenir la source dans l’intérêt du commerce et de l’industrie qui font la richesse de notre localité, il y aurait lieu de créer un moyen de publicité qui mit en circulation les avis intérressans (sic), les annonces utiles. Cette considération nous a décidé à entreprendre la publication de la feuille dont voici le prospectus. On ne saurait être plus clair. Il annonce au préfet du Nord son intention le 3 août 1829[5]. Celui-ci lui rappelle les règles auxquelles il sera soumis, aux termes de la loi du 21 octobre 1814, et de la loi du 9 juin ou 18 juillet 1828 : Tout Français majeur, jouissant des droits civils pourra, sans autorisation préalable, publier un journal ou écrit périodique. […] Le propriétaire ou les propriétaires de tout journal ou écrit périodique seront tenus, avant publication de fournir un cautionnement. Si le journal ou écrit périodique paraît plus de deux fois par semaine, soit à jour fixe, soit par livraisons et irrégulièrement, le cautionnement sera de six mille francs de rentes. Le cautionnement sera égal aux trois quarts du taux fixé, si le journal ou écrit périodique ne paraît que deux fois par semaine. Il sera égal à la moitié de ce cautionnement, si le journal ou écrit périodique ne paraît qu’une fois par semaine. […] Seront exempts de tout cautionnement […]Les journaux ou écrits périodiques étrangers aux matières politiques, et exclusivement consacrés aux lettres ou à d’autres branches de connaissances non spécifiées précédemment, pourvu qu’ils ne paraissent au plus que deux fois par semaine … Aucun journal ou écrit périodique soumis au cautionnement par les dispositions de la présente loi ne pourra être publié, s’il n’est fait au préalable une déclaration contenant : le titre du journal, et les époques où il doit paraître ; le nom de tous les propriétaires autres que les commanditaires, leur demeure, leur part dans l’entreprise ; le nom et la demeure des gérants responsables […] L’indication de l’imprimerie dans laquelle le journal ou écrit périodique devra être imprimé. Il est aussi dit que toutes modifications (périodicité, propriété du journal, adresses, changement d’imprimerie) doivent être immédiatement signalées. Que si l’entreprise est formée par une seule personne, le propriétaire devient automatiquement gérant du journal, à moins d’en désigner un (cas particulier des mineurs et (juridiquement) incapables, femmes comprises). Tous les numéros doivent porter la signature imprimée du gérant. Un exemplaire de chaque numéro, signé par le gérant, devra être déposé au parquet du procureur du Roi du lieu d’impression, ou à la mairie dans les villes où il n’y a pas de tribunaux (cas de Roubaix), contre récépissé. Le signataire était responsable du contenu du journal. Une lettre du préfet au maire de Roubaix, datée du 27 septembre[6], nous apprend que Beghin essaya de se soustraire à l’obligation du dépôt, et se fit rappeler à l’ordre

On comprend donc l’intérêt pour Beghin de choisir une parution bi-hebdomadaire. Beghin, dans son prospectus, annonce son intention de publier les arrêtés, avis et actes de l’Autorité, le relevé de l’état civil, la mercuriale des marchés de Lille, et une partie de variétés, composée de faits-curieux et d’anecdotes choisies. Cette partie du programme sera respectée; nous n’en dirons pas autant de la partie qui promettait mention des inventions, découverts et perfectionnemens que chaque jour voit éclore ; quant à accueillir avec empressement et reconnaissance les articles qu’on voudrait bien nous adresser et à la rédaction desquels le bon goût, l’esprit des convenances et surtout le désir d’intéresser les lecteurs par une couleur locale nous paraîtront avoir présidé, leur lecture n’a pas du trop fatiguer notre propriétaire, directeur, gérant et imprimeur : de tels articles brillent par leur absence.

Au quarante-troisième numéro, Beghin interrompit la publication de La Feuille de Roubaix, sans que rien ne l’annonce dans le périodique : la dernière livraison porte encore le prix des abonnements. Et il remplaça La Feuille par Le Narrateur roubaisien.








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[1] Voir; Le commerce des imprimés à Roubaix au XIXe siècle / Bernard Grelle. Cahier de Roubaix n° 7

[2] Contrairement à ce qu’écrit Jean Piat dans son article Il y a 150 ans, Roubaix voyait naître son premier vrai " journal" (Nord-Éclair; 25 novembre 1979), ce périodique a gardé même titre et même sous-titre tout au long de ses cinq mois d’existence.

[3] Voir les illustrations du livre de Guéry, Visages de la presse.

[4] Piat 1979, art. cit.

[5] Archives municipales de Roubaix 11Ih 3/9

[6] Archives municipales de Roubaix 11Ih 3/10