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Forçat (le)

Le Forçat. Organe socialiste de la région du Nord

La naissance du Forçat.
Le 8 juillet 1882, Le Réveil du Nord de Desreumaux annonçait la création prochaine du Forçat : L’organe socialiste qui doit paraître prochainement à Lille aura pour titre Le Forçat. La sociale de Roubaix s’emploie beaucoup à la fondation de ce journal, dont un communard célèbre doit prendre la direction....

Le 14 juillet sortait donc des presses un nouvel hebdomadaire, au service des ouvriers, et rédigé par eux, Le Forçat, organe socialiste de la région du Nord. Le nouvel hebdomadaire est administré à Lille, 32 rue des Bouchers, par Jonquet, directeur et administrateur (ancien ouvrier fileur, militant pourchassé par la vindicte patronale, créateur du syndicat des fileurs, Jonquet s’était établi non pas cabaretier, mais libraire et colporteur). Le Forçat n’est donc pas roubaisien. Mais son gérant est Henri Carrette, qui n’était en rien un communard célèbre, futur maire de Roubaix, son contenu est fortement roubaisien, l’influence roubaisienne est prédominante dans le parti ouvrier, et, Le Forçat voyant sa vie écourtée, son successeur, La Revanche du forçat sera lui roubaisien. Traitons donc le nouvel hebdomadaire comme un périodique roubaisien.

D’où venait l’argent ? Delory[1] nous dit que le parti avait organisé les fêtes corporatives du Broquelet. Parmi d’autres manifestations figurait une conférence de Paule Mink et Etienne Pédron à l’Hippodrome. Le prix d’entrée était fixé à 25 centimes. Une fois les frais déduits, la Fédération se trouva à la tête de 282,25 F. de bénéfice. Elle, qui n’avait pas encore possédé un tel capital […], décida de s’en servir pour publier un hebdomadaire.

Le premier numéro fut imprimé chez Lagache, rue Gilson, à Lille, à quatre mille exemplaires. Le syndicat des marchands de journaux n’en avait retenu que trois cents ; mille cent était nécessaire pour les abonnés et le service, et cinq cents pour les communes extérieures. Restait donc deux mille exemplaires du journal. Bouillon ? Non ! Tous les membres du groupe L’Égalité avait été pourvus de permis de colportage. Chargés de journaux, ils s’élancèrent vers la revue militaire du 14 juillet, aux cris de V’la l’Forçat !. À 11 heures du matin, tout était vendu, rapporte Delory[2], qui sera directeur du journal pendant la maladie de Jonquet.

Le 24 janvier 1883, Henri Carrette fait une déclaration selon laquelle il installe une imprimerie, 32 rue des Bouchers, devenant par-là même imprimeur-gérant du Forçat. Et d’ajouter qu’en attendant que l’imprimerie soit en état de fonctionner, M. Lagache continuera d’imprimer pendant quelques temps, mais sous mon nom d’imprimeur, et ma responsabilité pleine et entière[3]. Il est vrai que Carrette et Lagache venaient d’être condamnés à 500 F. d’amende chacun, et, solidairement, à 1000F. de dommages et intérêts. Même si la condamnation de l’imprimeur fut annulée en appel, il avait sans doute senti le vent du boulet... On trouvera par la suite dans Le Forçat des placards publicitaires pour l’imprimerie Carrette, imprimés administratifs et commerciaux; prix modérés, à cette adresse. D’après le numéro 10 du 17 septembre, une liste des administrateurs et des rédacteurs du Forçat serait parue dans le numéro 5 de l’hebdomadaire. Malheureusement ce numéro manque dans la collection de la Bibliothèque nationale de France…

Le premier gérant du nouvel hebdomadaire se nommait Henri Thieffry. L’Égalité du 22 septembre 1898 nous apprend qu’il venait de mourir accidentellement au cours d’une partie de pêche aux États-Unis. Pour éviter de payer ses amendes et de faire de la prison, Thieffry s’était en effet exilé à Providence, (Rhode Island), où il avait repris son métier d’ouvrier tisseur dans une des usines installées là-bas par des Roubaisiens.

Le Forçat était vendu 5 centimes le numéro. L’abonnement coûtait deux francs pour un an. Au fil des numéros nous apprenons que l’hebdomadaire était en vente, outre Lille, Roubaix, Tourcoing et Paris, à Amiens (17 décembre), Armentières (25 mars 1883), Saint-Étienne (6 mai 83).

Si l’on en croit le journal (n° 14), il était tiré à 15000 exemplaires; nouveau cri de victoire le 12 novembre : le tirage atteindrait 18000 exemplaires. Faut-il prendre ces chiffres pour véridiques? Certains ont douté : au-dessus de l’indication 18000 exemplaires du numéro 43, une main anonyme a ajouté à l’encre tirage réel 9000. Delory affirme que Le Forçat était vendu à 18 000 exemplaires, et que le 18 mars 1883, le premier numéro imprimé sur papier rouge fut tiré à 33 000. Qui croire ?

1.2 La ligne du Forçat.
Le Forçat est un périodique socialiste. C’est inscrit dans son titre, et la première livraison débute par une déclaration aux tonalités marxistes : Considérant que l’émancipation de la classe productive est celle de tous les êtres humains sans distinctions de race. Que les producteurs ne sauraient être libres qu’autant qu’ils sont en possession des moyens de production. Et d’ajouter que l’appropriation collective desdits moyens ne peut sortir que de l’action révolutionnaire

Plus loin, l’hebdomadaire justifie son titre : Quel doit être le titre du journal socialiste du Nord qui, le premier dans la région, est appelé à dénoncer énergiquement les exactions sans nombre dont le prolétariat est victime?. La réponse est donc Le Forçat. C’est faire bon marché du Travailleur du Nord de 1871. Mais il faut comprendre que Le Forçat est le premier périodique au service du Parti ouvrier.

Quoiqu’il en soit, Le Forçat gêne à Roubaix. Le numéro du 3 septembre fait état d’une pétition pour le faire interdire. Mais on pourra pétitionner, on pourra le traquer, l’attaquer, l’interdire, il se transformera, mais ne disparaîtra pas. Des moyens plus matériels sont aussi utilisés pour entraver son action : Les débitants de Roubaix se plaignent que le journal Le Forçat disparaît de chez eux sans qu’ils s’en aperçoivent... (29 juillet); le journal appelle à la vigilance, et menace : Gare!. Ou bien encore, certains marchands font croire, après le procès perdu que Le Forçat ne paraît plus (3 décembre 82). Sans parler des pressions ou menaces; le contremaître Leleu, surpris à le lire, est immédiatement renvoyé (1er octobre); les mines de Lens font la chasse aux vendeurs du journal (14 janvier 83)...

1.2.1 Anarchisme et collectivisme
Le Forçat insère naturellement des annonces de réunions de groupes et sections[4], dont le nom surprend parfois. Ainsi le groupe lillois Les révoltés, se disant anarchistes-communistes (15 octobre, 5 novembre) : qui aurait pu se douter que le parti anarchiste révolutionnaire aurait fait des adeptes dans le Nord? Le voilà s’affirmant tous les jours davantage sous le rouge étendard des exploités... (22 octobre 82). Il est vrai que ledit groupe venait d’adhérer à la Fédération socialiste du Nord (n°15 du 14 octobre). Pourtant, au plan national, les Guesdistes, qui avaient dans un premier temps fait alliance avec les anarchistes contre une autre tendance socialiste, celle des “coopérateurs”, d’inspiration proudhonnienne, s’en étaient écartés depuis le congrès de Marseille, en octobre 1879. Cela n’empêche pas Le Forçat de publier la déclaration collective des accusés du procès de Lyon (21 janvier) sur ce qu’est l’anarchie, une recette pour fabriquer de la nitroglycérine, et de dénoncer la guerre menée par les bourgeois contre les anarchistes[5].

Le Forçat publie aussi, le 15 octobre, les déclarations des ouvriers tisserands à la main de Roubaix, ou du groupe Autonomie communale de Roubaix, et une place est faite aux grèves, telle celle des croque-morts de Roubaix (22 octobre 82). Il nous apprend aussi que la sortie du groupe de la coopérative L’Union, à la mi-carême de 1883 fut un très grand succès : 5000 chansons auraient été vendues (11 mars).

Mais il sait aussi parler des préoccupations de ses lecteurs, en annonçant un grand banquet populaire à 3 F. par tête pour le 14 juillet 1883, ou en insérant de la publicité pour une méthode d’apprentissage de la lecture : Pour apprendre promptement à lire à un enfant, à un adulte, la méthode la plus simple, la plus facile et la plus rapide, c’est la Méthode abréviative et accélérative. Pour la recevoir franco par retour du courrier, adresser un franc au citoyen Rahic, éditeur des méthodes abréviatives 35, place d’Armes, à Poitiers (10 septembre).

Il annonce aussi la venue de Louise Michel à l’Hippodrome de Lille (29 octobre), et celle de Guesde et la même, salle Dominique, rue de l’Alouette (17 décembre); Guesde traitera De la question sociale et des grèves. Les contradicteurs (cercles catholiques, étudiants des facultés catholiques et de l’État, représentants de la presse bourgeoise, et des autres partis, sénateurs, députés, ministres, conseillers d’arrondissement) sont invités à la contradiction, et priés de se faire connaître chez Carrette...

La mort de Karl Marx est annoncée par une première page bordée de noir, comme un billet mortuaire (n° du 25 mars 1883). Le Forçat commémore la Commune, encore toute proche. L’anniversaire du 18 mars 1871 est célébré. Ce jour là Le Forçat insère une poésie de Souêtre La Commune ressuscitée. Le 20 mai 1883, nouvel encadrement noir pour commémorer La Semaine sanglante, sur toute la première page; s’y ajoute un article d’E. Vermersch sur les incendiaires.

Comme évoqué plus haut, la distinction n’est pas encore nette entre socialistes et anarchistes. Le Forçat publie en feuilleton Le Coq rouge de Louise Michel; mais aussi des articles sur Krapotkine (sic) le 14 janvier 1983, et sur la dynamite, en lien avec le même Kropotkine (31 janvier). Ou, le 28 janvier, un article sur la guerre menée par les bourgeois contre les anarchistes.

1.2.2 La dénonciation des patrons.
Les manquements des patrons sont vertement relevés par Le Forçat. C’est Désiré Wibaux-Florin qui renvoie un vieillard de 73 ans, qui compte quinze ans de maison (17 septembre 1882); ou Mme Vve Lemaire, sur qui Le Forçat jette l’interdit, parce qu’elle refuse d’accepter le tarif fixé par la Chambre syndicale de la filature de coton (1er octobre); mais c’est aussi l’anathème jeté sur la bourgeoisie aux moeurs dissolues (affaire de ballets (avec enfants) à Bruxelles (29 juillet).

1.2.3 L’athéisme et l’anticléricalisme du Forçat.
La lutte contre le patronat est toujours jointe à la lutte contre l’Église, si bien liée aux intérêts du précédent. Rémi Lefebvre écrit même que le clivage ouvriers/possédants sur lequel l’entreprise du Guesdisme fonde sa raison d’être ne s’impose que difficilement à la fin du XIXe. L’opposition entre cléricaux et anticléricaux est à Roubaix au moins aussi vive que celle entre “ révolutionnaires ” et “ conservateurs ”[6].

C’est donc Wibaux-Florin qui, en vrai catholique qu’il est (le saint homme) a pour devise, comme tout bon chrétien de rendre le bien pour le mal. Aussi ses “ heureuses ouvrières” gagnent-elles dans son “paradis” la fabuleuse somme de 22 c. à l’heure, avec une retenue de 4 F. si elles sont absentes un lundi[7]. (12 novembre). C’est la procession à La Marlière, si imposante. Mais on oublie de dire, imprime Le Forçat, que les fillettes qui y ont participé ont du travailler jusqu’à 10 heures pour rattraper le temps perdu (24 juin). Ce sont les nombreuses recommandations pour lire Calotte et Calotins de Léo Taxil, et d’autres publications du même genre (Les Débauches d’un confesseur; Les amours secrètes de Pie IX; Le livre secret des confesseurs, La République anticléricale, qu’on trouve chez Meurant, à Roubaix, ou chez Louis Decoine, colporteur du Forçat à Armentières (25 mars 83).

Mais Le Forçat insère aussi dans ses colonnes des attaques contre l’Église, et contre la religion. C’est le pape Pie IX, qui découvre que la foi est morte (18 mars 83). Ou bien il se livre à la statistique : sous le titre La Syphilis tiarée, Le Forçat ne décompte pas moins de douze papes morts pourris par la syphilis. Est-ce là la morale en action prêchée par les prêtres? Dans un autre domaine, il ne dénombre pas moins de sept Saint-prépuce, résultats supposés de la Circoncision du Christ (8 avril 83). Ou bien il fait la liste des cléricafarderies : les sacrements ont soi-disant été créé par le christ (sic; sans majuscule dans le texte). Or l’eau bénite ne serait apparue qu’en 120 après J.C.; la confession en 157; la promotion du Christ à Dieu en 348; les moines en 348; la messe latine en 394; l’extrême onction en 550; le purgatoire en 595, l’adoration de la Vierge et des saints en 715, la canonisation en 933; le baptême des cloches en l’an 1000, le célibat des prêtres en 1075; les indulgences en en 1195, la confession orale en 1214, et l’infaillibilité pontificale en 1870! Il souligne aussi qu’il fallut attendre le concile de Nicée (en 325)pour que le nommé Jésus soit déifié. Que le concile de Rimini (331) décida que Jésus n’était qu’un homme, et qu’il fallut attendre le concile de Constantinople (en 381) pour que la déification fut rétablie. On aura compris que Le Forçat ne croit ni à dieu, ni à diable; aussi n’hésite-t-il pas à reproduire la Carmagnole de 93 :

« Que demande un républicain?

Vivre et mourir sans calotins (bis).

Le Christ à la voirie,

La Sainte Vierge à l’écurie

et le Saint Père au diable.

Vive le son, vive le son du canon.



Le ridicule ne tuant pas, certains accusent Le Forçat de … cléricalisme ! Aussi, le 11 mars, l’hebdomadaire annonce-t-il la publication prochaine d’une variété en ces termes Combien de fois nos adversaires (les opportunistes particulièrement) ont insinué dans la masse des travailleurs des calomnies à notre égard leur thème favori est que nous sommes payés par les jésuites, que nous avons même des correspondances avec le Pape. Dimanche prochain, 18 mars, Le Forçat commence la publication de la Variété intitulée Pie IX au paradis, dédiée aux cléricafards et cléricafardes de France et de Navarre. Avant de publier cette Variété, nous informons nos lecteurs que nos renseignements viennent directement du Ciel ; s’ils ne sont pas véridiques, nous ne saurons plus où nous adresser à l’avenir….

1.3 Le Forçat et le reste de la presse
Le Forçat recommande à ses lecteurs Le Citoyen et La Bataille. Il polémique avec Le Métallurgiste du Nord (6 mai 83), pourtant organe des Chambres syndicales de la métallurgie. Le Forçat accuse les rédacteurs de ce dernier organe d’être des suppôts de Barberet. (Ce dernier avait assisté au congrès ouvrier de Paris (5 octobre 1876), en sa seule qualité de publiciste[8], sans avoir été mandaté ni par une chambre syndicale, ni par une société ouvrière, ni même un groupe de travailleurs, ce qui était pourtant une condition nécessaire pour pénétrer dans la salle du congrès. Devenu chef du bureau des sociétés professionnelles au Ministère de l’intérieur, il avait perdu un procès en diffamation contre ceux qui l’accusaient d’exercer une surveillance professionnelle des chambres syndicales. Ses idées provoquaient une scission dans le monde du travail ; ses fonctions pouvaient laisser supposer une provocation). Mais il est surtout en guerre contre les journaux du Nord exprimant l’idéologie patronale La Vraie France, admiratrice des disciples de Loyola, (17 septembre 82), ou Le Journal de Roubaix, qui s’en prend à un chanteur du cercle Le Progrès qui a osé chanter L’ombre de Voltaire, une chanson anticléricale (29 juillet 82). Le Petit Nord n’est pas épargné : Le Forçat stigmatise le journaliste de cette feuille qui a affirmé que le tribunal condamnant Louise Michel avait bien agit : Que le nom de ce pourvoyeur de cadavres ne soit jamais oublié de ceux qui sont les amis des opprimés…(1er juillet 1883).

1.4 La fin du Forçat.
Le 3 décembre 1882, un titre sur quatre colonnes proclamait Notre condamnation. Un industriel de Fives-Lille, Jean Casse, avait attaqué Le Forçat pour insinuations diffamatoires. Après diverses péripéties, cette condamnation marqua la fin du Forçat.

Cette dernière condamnation faisait suite à quelques autres. Le 29 novembre, Carrette gérant et Lagache, imprimeur, étaient condamnés par défaut à 500 francs d’amendes chacun et 1000 francs de dommages et intérêt, à peine de quatre mois de contrainte par corps pour les amendes et six mois pour les dommages et intérêts. Carrette et Lagache s’étaient retirés des débats, les estimant faussés par la partialité du tribunal. En appel (17 janvier), seul Carrette sera condamné, ce qui était d’ailleurs conforme à la loi, l’imprimeur ne devant pas être inquiété puisque le gérant était connu, à 100 francs d’amende(ou quatre mois de contrainte par corps) et 500 francs d’amende (ou vingt jours de la même peine).

Le 24 janvier, Carrette était condamné à 100 francs d’amende et 600 francs de dommages et intérêts au profit de chefs d’atelier de chez Allard, industriel et maire de Roubaix, qui s’étaient estimés diffamés. En appel MM. Lapie et Boithiaux obtenaient gain de cause, les dommages et intérêts étant ramenés à 500 francs.

Venait enfin le procès Jean Casse, et la condamnation était plus lourde 1000 francs d’amende (ou un an de prison) et 200 francs d’amende (ou quatre mois de contrainte par corps).

« En province de décembre 1882 à décembre 1888, les guesdistes assurent la publication régulière d’un hebdomadaire dans trois départements : dans le Nord leurs journaux, sous des titres qui se métamorphosent à chaque procès, paraissent cinq années sur six ; à Reims, La Défense des travailleurs survit trois ans et demi ; dans l’Allier, La Défense des ouvriers meurt après un an d’existence. Souvent, pour des questions rédactionnelles, ces journaux se prêtent plusieurs pages, ou les empruntent au Socialiste. Pourquoi les guesdistes se révèlent-ils incapables d’assurer la permanence de leurs journaux, surtout au plan national ? Les difficultés financières, inhérentes à un parti squelettique d’hommes aux très maigres ressources, sont aggravées par l'absence à la tête de ces journaux, de bons administrateurs. Par ailleurs, les travailleurs français, et plus particulièrement parisiens, ont alors tendance à se satisfaire d’une phraséologie simple et violente, répugnent à l’effort théorique ; aussi se laissent-ils facilement rebuter^par l’aspect austère et doctrinal des journaux guesdistes. Enfin certains dirigeants parisiens ne sous-estiment-ils pas l’utilité d’organes de liaisons et de doctrines ? [9]»

Delory raconte ainsi la fin de l’hebdomadaire : Comme bien on le pense, on refusa de s’incliner. L’argent ne fut pas versé, et Carrette s’expatria[10].Il décrit ensuite la visite de l’huissier venu saisir Le Forçat Chez Jonquet : le matériel de l’estaminet ? Propriété du brasseur. Matériel d’imprimerie ? On lui affirma que l’impression se faisait par un système perfectionné, permettant au gérant de venir avec son matériel et de l’emporter lorsque l’impression était faite. Le mobilier de la rédaction et de l’administration ? Il était installé dans une mansarde accessible par une échelle de meunier, et se composait d’une chaise sans fonds, d’une table disjointe, d’un tapis de papier gris, d’un encrier rempli d’encre incolore et d’une plume attachée à un énorme clou. En conclusion, l’huissier écrivit sur son exploit : Rien à saisir [11]. Ce fut sa seule visite, ajoute le narrateur. Non pas que le papier timbré fit défaut –nous en reçûmes suffisamment pour tapisser toute une grande pièce….

Presque tous les journaux socialistes périrent de la même manière. Un rituel s’installa : Les bourgeois accablaient de procès l’hebdomadaire ouvrier. Celui-ci pour ne pas payer changeait de titre et de gérant, et le tour était joué. C’étaient toujours les procès qui nous obligeaient à ces perpétuelles transformations. C’est dire que la bourgeoisie ne nous ménageait pas, écrit à ce sujet Delory[12].





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[1] Delory, Gustave. – Aperçu historique… - op cit. p. 46.

[2] Delory, Gustave. – Aperçu historique… - op cit. p. 46.

[3] A.D.N. 1T 22/25

[4] On trouvera la liste des groupes roubaisiens et de leurs adresses en 1882 dans : Delory, Gustave. – Aperçu historique…. op. cit, p. 49.

[5] Selon Delory, Aperçu historique…, il faudra attendre le Congrès de Lille (1890) pour que la Fédération du Nord se sépare définitivement des anarchistes.

[6] Rémi Lefebvre. – Le socialisme saisi par l’institution municipale… - p. 242

[7] Ce qui laisse supposer que la pratique du Saint lundi n’avais pas disparu en 1882, contrairement à ce qu’on affirme parfois.

[8] Delory. Aperçu historique sur la fédération… p. 11.

[9] Willard, Claude. – Les Guesdistes. – pp31/32.

[10] Sur l’ expatriation de Carrette, voir : Bernard Grelle. - Le commerce de l’imprimé à Roubaix au XIXe siècle.- Cahier de Roubaix n° 7.

[11] Delory. - op. cit. p. 53.

[12] Delory. op. cit, p. 70.