NARODOWIEC
Narodowiec. Niezależny dziennik demokratyczny dla obrony socjalnych i kulturalnych interesów wychodźctwa. Quotidien démocrate pour la défense des intérêts sociaux et culturels de l'immigration
Narodowiec, victime de l'intégration réussie ? Le nom, « Le Nationaliste » claque comme un drapeau. Voire comme une provocation ! Le quotidien polonais a en effet été créé, avant la Première Guerre, pour défendre l'identité des travailleurs polonais en Allemagne, puis en France. Quelque quatre-vingts ans plus tard, le journal disparaît, victime de l'assimilation progressive des enfants d'immigrés venus de l'est dans la société française.
Le quotidien a déjà une quinzaine d'années, lorsque son directeur décide de suivre l'émigration des mineurs polonais de Westphalie et des paysans de Pologne vers la France. Diffusé à quelque 10 000 exemplaires avant son arrivée à Lens en octobre 1924, Narodowiec est, avec son rival Warius Polski, le directeur de conscience de la communauté polonaise installée à l'étranger.
CONTRE LE SOCIALISME
C'est en 1909 que Michal Kwiatkowski et Jozef Pankowski créent, à Herne en Allemagne, Narodowiec. Le premier est un ancien collaborateur de Jan Brejski qui a racheté, en 1893, le quotidien Warius Polski, fondé, deux ans plus tôt à Bochum, pour soustraire les émigrés polonais en Allemagne à l'influence du socialisme. Interdit pendant quelque temps durant la Première Guerre, Narodowiec a déjà en 1921 un tirage de 13 000 exemplaires. Avec la résurrection de la Pologne, Michal Kwiatkowski s'interroge sur le devenir de son journal. Député de la Diète régionale de Poznan en 1918, il lance plusieurs périodiques dans son pays, tandis que son frère continue de diriger Narodowiec à Herne. En 1922, il est même élu à la Diète polonaise.
Cependant plusieurs dizaines de milliers de mineurs polonais choisissent d'émigrer vers la France, et le transfert du journal devient peu à peu évident. Installé à Billy-Montigny, Jules Knobloch est chargé de préparer le terrain dans le Pas-de-Calais. Dès 1923, Michal Kwiatkowski y effectue deux visites. La prise de position du journal lors de l'occupation française de la Ruhr semble précipiter le départ vers la France, d'autant que son rival Warius Polski s'est établi à Lille, dès juillet 1924, avec l'aide de la Société des ouvriers polonais qui veut éviter l'assimilation des Polonais en France.
L'installation du quotidien dans le Pas-de-Calais s'effectue dans de bonnes conditions, car, comme le souligne Joël Michel, les lecteurs sont arrivés par groupes, et ont simplement changé de décor. Le quotidien qui sort des presses installées rue Émile-Zola à Lens le 12 octobre 1924 est un journal de quatre pages de format 32 x 47 cm, présentées sur trois colonnes. Il est vendu 25 centimes. Il a été réalisé par un rédacteur Alexander Then qui est secondé quelques mois plus tard par Pawel Kawol. La rédaction s'étoffe encore durant les années suivantes. Elle accueille en 1936 l'une des rares femmes journalistes de la région, Stanoslawa Kozlowska. Après le départ de Then qui fonde le Kurjer Polski, en avril 1930, Kawol est nommé directeur adjoint tandis que F. Miedzinski occupe le poste de rédacteur en chef.
PRENDRE SA PLACE EN FRANCE
Le journal a évolué, le format a été agrandi, 39 x 53 cm, ce qui lui permet de paraître sur cinq colonnes, la « une » est illustrée de photographies et parfois d'un dessin. À partir de 1926, sa ligne éditoriale change. Les conditions économiques en Pologne rendent de plus en plus improbable le retour au pays des ouvriers immigrés en France. « Cessons de nous faire des illusions, la Pologne a des chômeurs et ne peut nous accueillir, beaucoup resteront en France, écrit son directeur, et il faut s'y organiser et suivre l'exemple de nos frères américains en créant la propriété privée polonaise et en faisant grimper l'échelle sociale aux enfants. »
Député depuis 1922, Kwiatkowski qui est toujours propriétaire de journaux en Pologne, renonce à son mandat en 1927. « Narodowiec et Warius Polski deviennent peut-être plus des journaux d'informations » constate Joël Michel. Les rapports de police successifs notent qu'il n'a jamais fait l'objet d'une interdiction de la part du gouvernement. « Journal d'information sans tendances politiques définies », remarque laconiquement le commissaire de police de Lens, en décembre 1934, qui n'a peut-être pas encore pris toute la mesure de son évolution. « Il conseille à ses lecteurs, poursuit-il, d'entretenir toujours de bons rapports avec les Français, mais de ne pas oublier leur patrie, la Pologne. »
Le journal continue d'informer la communauté polonaise sur les événements du monde, et notamment de son pays d'origine. Il est également le lieu d'expression de toutes les organisations polonaises en France. Il offre à ses lecteurs de nombreux romans ou nouvelles polonais : une dizaine de romans d'Antoni Marczynski y sont publiés, mais aussi d'Helena Mniskowna.
Le ralentissement de l'immigration, puis les rapatriements massifs ne semblent pas perturber sa progression. Son tirage est de 20 000 exemplaires en juillet 1928, 35 000 en décembre 1932, 37 000 en décembre 1934, près de 40 000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale. En 1932, la police l'affirme « C'est le quotidien de langue polonaise le plus important de France. » Son rival Warius Polski, imprimé sur les presses du Grand Écho à Lille, tout comme le quotidien communiste Dziennik lodony lui ont cédé la primauté. L'imprimerie de la rue Émile-Zola emploie une cinquantaine de personnes, en avril 1932 Ilustracja Polska lui consacre un important reportage photographique, véritable visite qui va du marbre aux rotatives pour finir aux expéditions. Michal Kwiatkowski est à la tête d'un petit empire de presse avec Narodowiec, Ilustracja Polska, Gazeta dla Kobiet. Il imprime également bien d'autres titres édités par différentes associations polonaises : Polski Pachole, Gospodars Polski we Francja, Kupiec Polski we Francji, Glos Kombatanta Polskiego, Paradnik Oswiatowy, Swit, etc. (Cf. notices). Le quotidien qui ne paraît pas le dimanche et les jours de fêtes n'hésite à multiplier les suppléments à l'occasion de Pâques, de son vingt-cinquième anniversaire, etc.
LE JOURNAL DE LA DIASPORA
Le quotidien cesse sa parution le 19 mai 1940. La famille Kwiatkowski a rejoint le gouvernment polonais en exil à Londres. À la Libération, elle revient dans le Pas-de-Calais et Narodoview reprend sa parution le 23 décembre 1944. Après plus de quatre ans d'absence, son succès ne se dément pas. Stanislaw Ostojak cède la place de gérant à Léon Gartska. En décembre 1946, son tirage est, selon la police, de 46 300 exemplaires dont 36 800 vendus par abonnement. Narodowiec touche toute la diaspora polonaise : en France, en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis. Le commissaire de police de Lens se montre cependant bien cruel à son égard, qui lui trouve « peu d'intérêt ». Les fils des immigrés des années 20 s'intègrent dans la société française, sortent de leur marginalité, leurs enfants vont à l'école française, et la Pologne, devenue communiste, n'est plus que la terre des ancêtres. En octobre 1949, le journal publie un numéro spécial pour fêter le quarantième anniversaire de sa fondation. Quelques mois plus tard, son tirage est encore de 43 000 exemplaires, mais il amorce déjà son reflux et va s'étioler progressivement. Après la mort du fondateur en mai 1966, son fils, prénommé également Michal, prend la succession.
À partir des années 70, le journal connaît des difficultés financières, le tirage est à moins de 10 000 exemplaires. Les voyages en France du pape Jean-Paul II, d'origine polonaise, sont pour lui des moments importants, mais ne suffisent pas pour doper l'audience. Le lundi 17 juillet 1989, les rotatives s'arrêtent avec la sortie du dernier numéro de Narodowiec. Trente-cinq personnes travaillaient encore à l'imprimerie.