PETIT BÉTHUNOIS (LE)
Le Petit Béthunois. Journal républicain bihebdomadaire
Devient : Le Petit Béthunois. Journal républicain paraissant les mercredi, vendredi et dimanche.- Puis : Le Petit Béthunois. Journal républicain hebdomadaire.- Puis : Le Petit Béthunois. Journal républicain hebdomadaire de l’arrondissement de Béthune.- Puis : Le Petit Béthunois. Journal républicain hebdomadaire de l’arrondissement de Béthune.- Puis : Le Petit Béthunois. Journal républicain le plus ancien de la région paraissant le jeudi et le dimanche.- Puis : Le Petit Béthunois, le Journal de Lens réunis. Organe bihebdomadaire d’information pour l’arrondissement de Béthune
En 1878, les républicains enlèvent la mairie de Béthune. Dans une ville où les périodiques édités affectent, au mieux de ne pas s'occuper de politique, ils ne disposent d'aucun organe de presse. Il faut attendre le 18 avril 1880 pour que paraisse Le Petit Béthunois, Journal bihebdomadaire politique, littéraire, commercial, industriel et agricole (1).
De format 30 x 45 cm, ce journal, présenté sur quatre colonnes, est imprimé par la Veuve Fohlen, rue de la Gare à Lens. Dès janvier 1881 (2) au moins, la société semble posséder sa propre imprimerie, située alors Faubourg de la Porte Neuve à Béthune.
Le premier numéro, aujourd'hui consultable, est daté du 29 juillet 1880. Conservé à la médiathèque de Lille, il ne porte pas de mention de prix. Seul est indiqué le prix des insertions : 20 centimes la ligne pour les annonces et 30 centimes la ligne pour les réclames. Quelques mois plus tard, en janvier 1881, le prix de l'abonnement annuel est fixé à 3 F pour l'arrondissement de Béthune, et à 6 F hors arrondissement (3). Il est en vente à Béthune à la librairie Carette-Delcloque libraire, rue Grosse-Tête, et à Lens à l'imprimerie de Mme Felhoen, tant qu'il y est fabriqué.
Installé lors de sa création 48, Grand'Place, puis Faubourg de la Porte Neuve, le périodique a pour rédacteur en chef Ovide Blanchard. Cet ancien employé à la mairie de Béthune et ancien commerçant (4) a lancé, en janvier 1880, un éphémère hebdomadaire, L’Écho de Lens, également imprimé par la Veuve Fohlen (Cf. notice). La plupart des rédacteurs sont des « amateurs » selon l'expression du président des actionnaires.
Plusieurs notables républicains de l'arrondissement semblent avoir participé à sa fondation : Victor Didier, Alfred Leroy, Ovide Blanchard. En novembre 1881, Ronulphe Caron et Jules Marmottan, président du conseil d'administration des Mines de Bruay (5), possèdent chacun 40 actions de la société qui imprime le journal, le docteur Eugène Haynaut dix.
SUS AUX CLÉRICAUX
De sensibilité radicale, Le Petit Béthunois se distingue d'abord par son anticléricalisme. Lors des élections municipales de janvier 1881, il n'épargne pas ses adversaires conservateurs, les traitant de « gent cléricafarde et réactionnaire ». Il multiplie les attaques contre leur organe Le Libéral (Cf. notice) qu'il qualifie entre autres de « feuille cléricale, auréolée d'un titre trompeur » et affuble ses journalistes du surnom de « capucins de robe courte ». Plus tard, c'est avec Le Journal de Béthune qu'il croise le fer. Blanchard ironise en janvier sur la « Feufeuille réactionnaire de Béthune » dont le tirage justifié serait de 39 exemplaires. Il se fait plus virulent avec son journaliste anonyme qui n'est qu'un « cafard ». Plus classique, ceux de l’hebdomadaire d’Arras Le Pas-de-Calais ne seraient que des « rats de sacristie ». Plus tard, La Croix qui ne sera pas en reste à son égard est l'une de ses cibles préférées.
Le parti conservateur, sa presse, mais aussi le clergé, lui-même. Le Petit Béthunois traque toutes les « facéties cléricales ». Dans une édition, il rapporte l'intempérance d'un prêtre, dans une deuxième la lubricité d'un autre abusant de jeunes paroissiennes ou fréquentant des prostituées. Dans une troisième, il relate par le menu comment un curé possédant une somme rondelette a été dépossédé par son vicaire. Dans une quatrième encore, il dénonce un clerc boursicoteur qui escroquait ses ouailles… Autant de faits qui lui permettent d'affirmer « que la sainte engeance renferme en son sein une jolie collection de gredins ».
Il se gausse des « cocasseries cléricales » à l'occasion d'un article de L’Émancipateur de Cambrai rapportant une guérison par de l'eau de Lourdes. Il se scandalise de l'attitude de « pélerinards » du Pas-de-Calais qui, revenant de la cérémonie de béatification de Benoît Labre, ont semé le trouble dans les rues de Pise.
Il multiplie les gestes de provocation à l'égard des catholiques. Le jeudi 8 juin 1882, toute la « une » du journal est consacrée à Garibaldi « haï par les cléricaux parce qu'il a combattu la papauté », clame-t-il. Le périodique retient également que l'Italien « est venu mettre son épée au service du gouvernement de Défense nationale ». Après le vote de la loi sur l'enseignement primaire, il reprend un article du Docteur Haynaut paru dans Paris Nord. Il jubile : cette loi marque la séparation de l’Église et de l’École.
Une dizaine d'années après sa fondation, le président du conseil d'administration, Eugène Haynaut, le rappelle d'ailleurs : « il faut qu'il conserve sa tradition de journal nettement républicain, nettement anticlérical. Je vous déclare que je suis de ceux qui n'entendent pas devenir républicain avec Mgr Fava. Le clergé peut se rallier à la république. Il est clair qu'il n'en accepte pas et n'en acceptera jamais les doctrines…. Je ne cesse de répéter le mot toujours vrai, plus vrai que jamais de notre grand patriote Gambetta Le cléricalisme, voilà l'ennemi ! » Et déjà de réclamer conformément au programme de Belleville (6), la séparation de l’Église et de l’État : « l’État doit faire la séparation des Églises et de l’État… le contrat concordataire est caduc. »
PROGRESSISTE CONVAINCU
Dès le début de la République opportuniste, ses adversaires le traite de journal radical. Le qualificatif ne fait pas rougir Ovide Blanchard, qui, cependant, refuse l'appartenance à toute coterie : « Si c'est être radical que de réclamer ardemment toutes les réformes constituant le programme démocratique, vraiment démocratique, entendez-le bien, sans aucune restriction, oui nous sommes radicaux.
Si c'est être radical que poursuivre la suppression de tous les abus, conséquence naturelle des régimes monarchiques, l'abrogation de toutes les lois négatives du progrès moderne, oui nous sommes radicaux.
Mais s'il faut pour mériter cette appellation nous inféoder à une coterie, s'il faut appartenir à un groupe, nous y retrancher comme dans une citadelle, approuver du bonnet tout ce qu'on y décide et excommunier gravement ceux qui se trouvent dehors, nous nous contentons de déclarer que nous sommes des républicains convaincus, des républicains progressistes.
… Nous sommes des républicains de principes mais non des doctrinaires. »
En tout cas en 1888, Blanchard s'offusque lorsque Le Petit Calaisien présente L’Indépendant de Boulogne comme le seul journal radical du département. Il revendique le même qualificatif pour sa publication. En décembre 1891, à l'occasion de l'arrivée d'une machine lui permettant d'être imprimé sur grand format, Le Petit Béthunois réaffirme sa ligne politique : « Nous sommes à l'avant-garde et nous y resterons. Nous ne reculerons devant aucune réforme proposée, aussi radicale qu'elle soit, pourvu qu'elle ait pour base la liberté et le droit. »
Le périodique béthunois s'en prend d'ailleurs régulièrement aux opportunistes. En 1888, il regrette la chute du cabinet Floquet, ce compagnon de Gambetta. Il n'approuve pas la nomination de Méline. Jusqu'à la fin du siècle, ses éditorialistes dénoncent « La menace cléricale ». Les vieux réflexes persistent au tournant du siècle. L'un de ses éditorialistes, le journaliste parisien Le Cocq fustige tour à tour « l'impudeur cléricale », le « Fâcheux célibat » qui conduit à l'immoralité des prêtres, le « parti prêtre », « l'organisation cléricale » à l'occasion de l'élection au Parlement de l'abbé Garaud.
Devenu maire de Béthune en 1888, député en 1889, le docteur Haynaut est-il le garant de cette ligne politique avancée ? Né à Frévent en 1848, il s'est établi à Béthune après ses études et devint chirurgien en chef de l'hôpital. Libre-penseur et radical, il a été sous-préfet de Montreuil-sur-Mer de septembre 1870 à mai 1871. Il est conseiller général depuis 1866, et était conseiller municipal depuis 1877.
En octobre 1891, les actionnaires sont une cinquantaine. Lors de leur assemblée générale, la société anonyme de l'Imprimerie nouvelle et du Journal le Petit Béthunois est dissoute. Le Docteur Haynaut a dressé un bilan alarmiste : le tirage baisse, le journal est mal rédigé, le spectre du déficit menace… La société lui est cédée ainsi qu'à l'imprimeur Jules Logier. Les rôles seront bien répartis : « M. Haynaut, lit-on, rédigera le journal avec ses amis politiques de bonne volonté, M. Logier imprimera. » De fait, le maire de Béthune reste directeur politique, il y publie régulièrement sa lettre parlementaire. Blanchard garde la rédaction en chef tandis qu'un jeune journaliste, entré en 1887, semble monter en puissance. Né en 1863 à Béthune, Fernand Lefranc, fonctionnaire à la préfecture de police de Paris, signe ses premiers éditoriaux.
Le 19 décembre 1891, à l'âge de 47 ans, le docteur Haynaut disparaît. Compagnon de route, Ovide Blanchard lui succède à la direction politique, tandis que Jules Logier devient directeur gérant. L'entente entre les deux hommes ne dure guère plus de quatre ans. Ovide Blanchard, séduit par le socialisme, veut soutenir Arthur Lamendin, membre du POF, député de la deuxième circonscription de Béthune depuis 1892, tandis que le propriétaire Logier souhaite maintenir la ligne radicale (7) de son journal.
En décembre 1895, après le départ de Blanchard, la rédaction en chef est confiée à Lefranc, garant de cette orthodoxie radicale, comme le prouve ce portrait brossé après la guerre par le journal : « Lorsque le Parti républicain radical et radical-socialiste s'organisa en 1901 sous le ministère Waldeck-Rousseau M. Fernand Lefranc lui apporta tout de suite le premier de tout le Pas-de-Calais son adhésion, il fut élu plusieurs fois par les congrès du Parti secrétaire et vice-président du comité exécutif… il créa la fédération radicale du Pas-de-Calais dont il fut secrétaire général jusqu'en 1913. » Les députés radicaux, Henry Maret, Paul Hayez, Jules Rivet… multiplient les éditos. Jusqu'à la guerre, Le Petit Béthunois fut, écrit Alain Derville, « le porte-parole des milieux radicaux et laïques (8) » . Ce qui ne l'empêche pas de pratiquer une politique à géométrie variable. En 1900, il accueille favorablement la candidature du député socialiste Basly lors des cantonales, en 1906, il prend la défense de Jules Elby, administrateur des mines de Bruay et maire de la ville depuis 1899, mais aussi gendre d’Alfred Leroy.
Depuis sa fondation, Le Petit Béthunois a connu diverses évolutions. Seul organe républicain de l'arrondissement, le journal rencontre dès son lancement un certain succès, malgré quelques travers : de nombreuses fautes d'orthographe, un style très relâché que ses adversaires prennent plaisir à étaler dans leurs colonnes. « Il ne date que de huit mois, mais il a pris une certaine importance et peut prendre une place quand il sera mieux rédigé » résume le sous-préfet de Béthune. En 1882, la direction se montre particulièrement optimiste : « Le Petit Béthunois entre dans sa troisième année d'existence et depuis sa fondation, son succès n'a pas cessé un seul instant de suivre une marche ascendante.
Notre tirage a atteint un chiffre que nous pouvons affirmer être le plus élevé de tous les journaux d'arrondissement se publiant en France. » Il atteint, en 1885, 2 900 exemplaires le jeudi et 5 000 le dimanche ; en juin 1896, 3 000 exemplaires le jeudi et 6 000 le dimanche (9) ; en mai 1913, 8 000 et 12 000.
Bihebdomadaire lors de sa création, sa périodicité devient hebdomadaire en 1890. Puis il reprend une périodicité bihebdomadaire. À plusieurs reprises, souvent à l'occasion d'un changement de machine à imprimer son format s'agrandit. À partir du 3 janvier 1900, avec un format 46,5 x 65 cm, Le Petit Béthunois, présenté sur six colonnes, affirme être « le plus grand des organes de la région ». Et sa direction de justifier ce changement notamment par le développement de l'information locale : « À cette augmentation de format correspondra une amélioration sensible de tous les services, la rédaction s'augmentera de nouveaux collaborateurs… La petite information que nous avons déjà développée dans d'énormes proportions l'an dernier, prendra plus d'extension encore. » Quelques années plus tard, sa présentation passe à six colonnes et sa pagination atteint six pages et même huit en 1913 avec sa sa revue des sports du dimanche. Les premiers dessins et les premières photos ont fait leur apparition en pages intérieures. Les signatures les plus fréquentes sont alors celles de Paul Saint, Georges Robert, Octave Pradels, Robert Falco, Georges Laurence, Marcel Carret, René Grougé, Eugène Divet, Louis Huyghe tandis que les tablettes d'un artésien sont signées Ferfranc, pseudonyme de Fernand Lefranc, et la chronique béthunoise Sténo.
MALGRÉ LA GUERRE
À la veille de la guerre, Le Petit Béthunois est une entreprise prospère. De ses presses sortent Le Journal de Lens, créé en 1894, Le Journal de Saint-Pol, en 1900. Jules Logier a également racheté en 1905 La Défense de Lillers, en 1909 La Revue artésienne, doyenne des publications béthunoises (Cf. notices).
Le 2 août 1914, Le Petit Béthunois n'en est encore qu'à annoncer « une situation très tendue, mais stationnaire ». Le ton diffère radicalement le 6 : la sinistre expression « La guerre » s'étale sur six colonnes. Le journal ne paraît plus que sur deux pages et ne donne plus que les dépêches officielles. Le 28 août, il publie le texte d'Alphonse Daudet, La dernière classe. Le dimanche 27 septembre, après 2742 numéros, la direction, dans une édition spéciale et gratuite, annonce la suspension provisoire de la publication.
Celle-ci reprend le 15 février 1915. Trihebdomadaire, Le Petit Béthunois devient quotidien dès le 19 avril. Les difficultés du moment ont raison de sa bonne volonté et en février 1917 il en revient à une périodicité hebdomadaire. L'équipe de l'imprimerie est réduite à six personnes, « les trois quarts du personnel sont mobilisés » déplorait déjà la direction en mai 1916. Si la rédaction et l'administration sont toujours boulevard Victor Hugo à Béthune, son directeur est à Paris. Jules Logier signe généralement un tour d'horizon des événements intitulé « La Guerre, la situation au jour le jour ». Le journal suit la carrière du général Pétain, le vainqueur de Verdun en 1916, le commandant en chef en 1917. Il loue notamment la condition physique de cet homme de 59 ans, pratiquant le saut à la corde, parcourant des kilomètres dans la terre détrempée à la tête de sa compagnie, défiant les uns et les autres au saut de fossé. En juillet 1917, il annonce la mort de Serge Basset, correspondant militaire du Petit Parisien tué sur le front anglais dans les environs de Lens, « premier journaliste français tué dans l'exercice de ses devoirs professionnels ».
TACHE BLANCHE AU MILIEU DES ROUGES
Après la guerre, la reprise est difficile. Jules Logier évoque la situation délicate de la presse. En mai 1920, avec Henri Langlais de La Dépêche de Lille, il déplore une augmentation insuffisante du prix des journaux porté à 15 centimes, « quand on sait que le prix du papier est déjà de 16 à 17 centimes par numéro. » Quelques mois plus tard, Le Petit Béthunois passe pourtant à huit pages, puis reparaît deux fois par semaine, les mercredi et samedi, enfin en 1921 les articles sont illustrés de photos. D'autres innovations suivent quelques années plus tard. En octobre 1927, le journal est doté d'un supplément hebdomadaire, La Vie sportive du Nord, fondé par Pierre Pouillaud, gendre de Jules Logier et présenté plus tard comme son « bras droit » (10).
L'événement le plus important semble être le retour de Fernand Lefranc, le 27 février 1921, qui « reprend sa plume après huit années d'interruption ». L'ancien directeur du personnel, de la comptabilité et du matériel à la préfecture de police de Paris, retraité depuis 1919, « reprend la tâche occupée pendant 25 ans », claironne le journal.
Le Petit Béthunois a perdu bien des couleurs. Lors des élections législatives de 1924, dans le Pas-de-Calais, il s'aligne sur la position du quotidien arrageois L'Avenir. Ce « vieux journal radical qui lutte depuis un demi-siècle pour le triomphe des idées laïques » refuse de choisir entre la liste de la fédération démocratique et sociale sur laquelle se retrouve Fernand Lefranc et la liste de concentration républicaine et sociale avec Jean Paris.
Battu localement, Fernand Lefranc se félicite cependant de la victoire du Cartel des gauches : « Le peuple français a mis en de bonnes mains les destinées de la République. » En 1932, il prône une « concentration républicaine » qui « pourrait comprendre tous les républicains sincères à l'assemblée, à l'exclusion des partis socialistes et communistes ». L'élection en mai 1932 d'Albert Lebrun, après l'assassinat de Paul Doumer, est d'ailleurs, se prend-il à rêver, « le prélude à cette concentration républicaine. » Dès lors, à l'approche des nouvelles élections législatives de 1936, Le Petit Béthunois relaie le message des groupements républicains « chargés de rallier tous les partis d'ordre hostiles au Front populaire ». Il déplore l'alliance des radicaux avec les autres partis de gauche : « les SFIO et les communistes peuvent s'allier de façon durable sinon définitive, car ils sont issus de la même source et poursuivent un but similaire ; mais les radicaux-socialistes font tache blanche au milieu du bloc rouge avec lequel ils n'ont point d'autre point commun que l'amour que portent au peuple tous les républicains dont nous sommes. » Il en appelle à « la construction d'un Tiers parti » et soutient la candidature du député sortant de centre droit Jules Appourchaux contre le maire socialiste de Bruay-en-Artois, Henri Cadot. Le jour des élections, le dimanche 26 avril 1936, solennellement, dans un éditorial signé « Le Petit Béthunois », il en appelle aux électeurs : « En condamnant la démagogie, qui engendre la ruine des finances publiques ; l'étatisme, préface du collectivisme et qui, quelque forme qu'il révèle, bolchevisme ou fascisme, sonne le glas de la liberté ; l'anarchie génératrice de guerre civile, le bon peuple de France, laborieux et probe, ennemi de tous les excès, donnera une preuve éclatante de son amour ardent de la République et de la Patrie, il témoignera du même coup, de sa foi inébranlable dans leurs destinées. »
Au lendemain du premier tour, il constate désabusé : « le danger révolutionnaire s'est précisé dimanche sur la France. » Il ne peut bien sûr que désapprouver l'agitation sociale qui secoue le pays dans les semaines qui suivent. Par contre en novembre 1936, il exige la fin des attaques contre Salengro… au nom de l'image du pays : « La Chambre, par 421 voix contre 63, a constaté "l'inanité des accusations" contre M. Salengro et "flétri la campagne d'outrages" menée contre lui.
Il faut absolument que ce verdict constitue le point final à une campagne de presse qui, non seulement, atteint l'homme, mais qui, aussi, porte atteinte, dans le monde, au prestige de la France entière car ne l'oubliez pas M. Salengro est membre du gouvernement et ministre de l'Intérieur. Pensez donc un peu au Pays, Messieurs les accusateurs. »
Le Petit Béthunois suit l'évolution de la société française. Il fait une place de plus en plus large aux faits divers, aux rencontres sportives qui se partagent la « une » avec les commentaires politiques. Un article sur « les reines de beauté » rivalise maintenant avec le compte rendu des conférences littéraires de Béthune. Le poète Auguste Dorchain rend hommage à Jules Mousseron qui reçoit le ruban rouge. La mort de Louis Blériot efface provisoirement la grève générale aux mines de Lens et de Bruay. Le journal publie plusieurs enquêtes d'Albert Chamoy sur la ville. Les réclames sont de plus en plus envahissantes. En 1939, le périodique, présenté sur sept colonnes, atteint huit pages abondamment illustrées. Les articles sont alors signés Guy Le Clech, Lucien Hector, Pierre Veber, Georges Avril, D'Aspremont, Marcel France, Cahrels-Emmanuel Brousse, Georges Rocher, Jean Bernard, Pol Harduin, et en locale Jean Sylvain.
TOUS LES THÈMES DE LA PROPAGANDE
En février 1939, le périodique anticlérical des années 1880 rend hommage au pape Pie XI qui vient de mourir : « L'homme qui rentre dans la paix du Seigneur fut un des grands vicaires de Jésus-Christ […]. Nous nous inclinons devant sa dépouille, comme nous inclinons devant la Grandeur de son œuvre. » Et si l'en était besoin, il en profite pour expliquer à ses lecteurs le fonctionnement d'un conclave.
Comme il dénonce « la fausse démocratie soviétique », il est inquiet des manifestations de « folie collective » autour d'Hitler. En mars 1939, après l'invasion de la Tchécoslovaquie, il note impuissant : « Hitler ne sera satisfait que lorsqu'il aura soumis l'Europe à la domination allemande. Et s'il meurt avant la réalisation de ses rêves, son successeur, quel qu'il soit, prendra la suite de la chaîne. »
Le 3 septembre, la France a déclaré la guerre à l'Allemagne et Le Petit Béthunois est déjà censuré. Soumis au régime maigre, les numéros suivants commencent par les communiqués militaires. Le 17 septembre, sa parution devient hebdomadaire et Le Journal de Lens y est rattaché. Le Petit Béthunois et le Journal de Lens réunis paraît avec le millésime de chacun des titres. La « une » est partagée entre une rubrique Béthune et une rubrique Lens En un sonnet, Noël Chopin traite l'actualité de la semaine : le martyre de la Pologne, le vote unanime de la Chambre, le sort de la Finlande, etc. Victime de la censure, ce sonnet disparaît le 14 avril. À peine un mois plus tard, l'armée allemande est passée à l'attaque. Le 19 mai, Le Petit Béthunois cesse sa parution.
Jules Logier s'est réfugié à Châtellerault où il meurt en décembre 1940. Les Allemands ont exigé la reprise de la publication qui reprend, semble-t-il, le 4 juillet 1940 avec en manchette la mention « n° 1, nouvelle série ». Le premier numéro conservé aux Archives départementales du Pas-de-Calais, est daté du 16 août 1941. Il porte les mentions « n° 118 (nouvelle série) 82e année - n° 5263, 47e année - n° 1762 ». Les lecteurs ont-ils compris ? Le gérant aurait ainsi voulu marquer d'une part la mainmise de l'occupant sur le journal et d'autre part, en affichant son ancienneté, la continuité avec Le Petit Béthunois et Le Journal de Lens d'avant l'occupation. La « une » s'ouvre sur le communiqué allemand portant un « V » avec la croix gammée, le tout entouré d'une couronne de lauriers. Juste à côté paraissent les « propos féminins » de Florise.
À partir de mai 1942, des avis annoncent des déportations pour des lignes téléphoniques coupées, des condamnations à mort pour hébergement de soldats anglais, sabotages, menées bolchevistes. Les communiqués macabres se succèdent. Le 1er août 1942, vingt-huit ouvriers de Carvin, Vendin-le-Vieil, Hénin-Liétard, Annay-sous-Lens, Fouquières-lez-Lens, Provin, Courcelles et Avesnes-le-Comte ont été exécutés ; le 5 août dix personnes déportées ; le 8 août, cinquante autres prises en otages...
Le journal se contente d'abord de reproduire des articles fournis par les services allemands, ou écrits par des hommes politiques et des journalistes parisiens : Claude Jeantet, Abel Bonnard, Jean Luchaire, Georges Suarez, Henri Lebré, Jacques Doriot. Revenu de captivité, un ancien rédacteur sportif, ancien combattant des deux guerres, publie anonymement des articles reprenant, selon les termes du commissaire du gouvernement, le 27 novembre 1945, « tous les thèmes de la propagande allemande et vichyssoise : la relève, le STO, le péril bolchevique, la collaboration, […] il jette le discrédit sur le général de Gaulle et ses collaborateurs ». En novembre 1942, lors de l'occupation de la zone sud, « les Allemands ayant rompu l'armistice et rétabli en fait l'état de guerre avec la France », ce rédacteur quitte le journal. Les articles politiques proviennent alors de l'agence Inter-France et sont signés I. F. Quant à l'unique journaliste localier, il se limite souvent à reprendre les communiqués qui lui sont adressés, même s'il n'échappe pas à certains exercices obligés par la Kommandantur.
Le journal, fabriqué par cinq ouvriers et un apprenti, selon les réponses apportées à un questionnaire de la Propaganda Staffel en février 1942, a toujours une audience remarquable. Son tirage est en effet de 10 000 exemplaires pour une diffusion sur les cantons de Béthune, Houdain, Cambrin, Lens et Carvin.
Le dernier numéro du Petit Béthunois paraît le 30 août 1944. La Cour de justice prononce, en décembre 1945, la dissolution de la société et la confiscation du fonds de commerce. Condamné à cinq de travaux forcés, le rédacteur sportif voit sa peine réduite à deux. Il est libéré en janvier 1947 et amnistié quelques années plus tard. Le 10 septembre 1948, un nouveau journal, Le Béthunois, est imprimé dans les locaux du Petit Béthunois. L'aventure dure un peu moins de cinq ans. Le samedi 14 février 1953, les lecteurs sont avisés que « La relève pour la continuité de l'action politique… sera… assurée par notre confrère L'Avenir de l'Artois à qui nous avons cédé notre titre Le Béthunois et celui de notre feuille d'Artois et de Flandre. »
(1) Le Petit Béthunois, né en 1880 de la transformation en journal politique du Journal politique et agricole appartenant à Ronulphe Caron (Cf. 10 T 24).
(2) Le premier numéro de l’année 1881 comporte une erreur de date. Il est daté du « 2 janvier 1880 ».
(3) Mentionné dans le premier exemplaire conservé aux Archives du Pas-de-Calais, portant le n° 127 et daté de 1er janvier 1882.
(4) Opposant à la république d'Ordre moral, Ovide Blanchard sera arrêté en 1877. En juin 1883, il publie en effet en feuilleton dans Le Petit Béthunois « Deux mois de prison sous le Seize-mai ».
(5) Le Petit Béthunois annonce sa mort le mercredi 27 février 1889.
(6) Programme accepté par Léon Gambetta, candidat, lors des élections législatives de mai 1869.
(7) AD du Pas-de-Calais, 10 T 24.
(8) Derville (Alain) (sous la direction de), Histoire de Béthune et de Beuvry, Westhoek-Éditions, 1985, p.202.
(9) AD du Pas-de-Calais, 10 T 21.
(10) AD du Nord, 7 W 295.