Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais (L’)
L’Avenir. Journal d’Arras et du Pas-de-Calais
Devient : L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais. Journal des intérêts agricoles de la région du Nord.- Puis : L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais. Journal politique, agricole et industriel.- Puis : L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais.- Puis : L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais. Journal quotidien, organe d’Union républicaine démocratique du département.- Puis : L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais. Quotidien du soir, organe d’Union républicaine démocratique.- Puis : L’Avenir d’Arras et du Pas-de-Calais
La déchéance de Napoléon III prononcée, le gouvernement de Défense nationale formé, l'avenir ne peut être qu'à la République ! Au lendemain du 4 septembre 1870, des républicains arrageois forment le projet d'un nouveau journal militant en faveur de ce régime.
Rien ne semble pourtant bouger alors qu'en octobre les légitimistes lancent Le Pas-de-Calais. Le 28 janvier 1871, l'armistice est signé entre la France et la Prusse. Le vainqueur impose l'organisation, sous les trois semaines, de l'élection d'une nouvelle assemblée nationale. Après une campagne rapide, le mercredi 8 février, les Français désignent donc leurs représentants. À Arras, comme dans beaucoup de villes, on vote d'abord pour la paix, contre la République.
Publié le jour même des élections législatives, L'Avenir. Journal d'Arras et du Pas-de-Calais, daté du 9 février, n'a pas eu l'occasion de peser sur le choix des électeurs. L'affaire avait pourtant été préparée de longue date. Dès le premier numéro, son gérant Alphonse Brissy le rappelle : ce « journal […] devait paraître le lendemain du 4 septembre. L'empire tombé, la presse et les esprits étaient libres […]. La question du gouvernement s'imposait ensuite à l'attention de tous […]. Le moment paraissait donc favorable d'élever la voix à quiconque a le désir réel de voir s'établir parmi nous ce gouvernement et ces institutions qui assureront notre force et notre prospérité dans l'avenir. »
La poursuite de la guerre aurait fait ajourner le projet. Dans la perspective d'élections générales, l'idée n'aurait cependant jamais été abandonnée. Une lettre du sous-préfet de Béthune en apporte la preuve. En décembre 1870, il écrit à ses collègues : « Nos amis politiques d'Arras et de Béthune fondent en vue des élections et pour combattre la réaction un journal politique à un sou à Arras. Gérant et rédacteurs trouvés. Réunion lundi à Arras. Prix actions 250 F. Souscrivez-vous pour une ? pour deux ? Réponse. »
L’AVENIR LUI APPARTIENT
Présenté sur quatre colonnes, L'Avenir est imprimé sur un format légèrement plus que petit que celui de ses concurrents (36 x 47 cm) et arbore la devise « Patrie - Loi - Liberté ». Il paraîtra tous les jours sauf le dimanche au prix de 6,50 F pour trois mois, 13 F pour six, et 25 F pour un an. Dès le 19 mars, il adopte un format plus grand, 39 x 55 cm.
Lors de sa parution, Alphonse Brissy, imprimeur, président de la Société typographique d'Arras depuis 1858, mais aussi ancien conseiller municipal, semble en être le seul propriétaire. Les bureaux du journal sont d'ailleurs installés dans les locaux de l'imprimerie, rue Saint-Étienne. En 1873, il est secondé par un rédacteur-gérant Eugène Carlier, probablement aidé par un ou deux journalistes. Après la mort d'Alphonse Brissy, survenue le 27 août 1873, le journal devient la propriété d'une société en commandite comprenant « plus de 140 actionnaires du Pas-de-Calais, propriétaires, industriels, commerçants, notaires, médecins et surtout cultivateurs, tous naturellement conservateurs par position ». Le capital est en fait divisé en 513 actions de 100 F. Carlier en devient le seul gérant, placé sous le contrôle d'un conseil de surveillance de cinq membres : le maire de Bully-Grenay, François Brasme, les conseillers d'arrondissement Achille Bouillez et Louis Démiautte, ainsi que Renaud-Cordonnier et Woussen. En octobre, la direction annonce un renforcement de la rédaction pour « un journal entièrement reconstitué ». Celle-ci est formée autour de Louis Lièvin, venu du journal Le Soir. À partir du 2 mai 1874, l'impression, d'abord continuée par la veuve d'Alphonse Brissy, est confiée à Schoutheer, 51, rue des Trois-Visages.
Les comptes rendus des premières assemblées générales, conservés aux Archives départementales du Pas-de-Calais, permettent de suivre les débuts de la Société. Difficiles, ils nécessitent deux augmentations successives de capital. En 1874, le tirage de la publication n'est que de 600 exemplaires. Ce qui n'empêche pas, un an plus tard, L'Avenir d'acheter son rival républicain L'Ordre et de le fusionner avec lui.
Après trois exercices, la société affiche des résultats positifs permettant aux actionnaires de toucher des dividendes. Le tirage avoisine 1 500 exemplaires et en avril 1882, le compte rendu de l'assemblée des actionnaires est résolument optimiste : « Depuis l'existence de la Société de l'Avenir, l'année que nous venons de traverser a été de beaucoup la plus remarquable, par l'importance des résultats obtenus au point de vue politique aussi bien qu'au point de vue commercial. » Les années suivantes ne semblent que « l'heureuse continuation de la précédente », selon la formule employée dans les minutes de ces assemblées générales.
En 1879, le journal peut s'équiper de sa propre imprimerie dont la raison sociale est Eugène Carlier et Cie. Malgré un investissement de 35 837, 55 F en matériel, elle n'a pas besoin de recourir à un emprunt. Outre l'impression du titre, la société peut ainsi effectuer des travaux de ville dont le bénéfice n'est pas négligeable. Le 1er janvier 1880, elle lance une édition hebdomadaire du dimanche « plus spécialement réservée aux laborieux habitants des campagnes ». Le 1er mai 1882, elle réduit le prix de l'abonnement faisant de L'Avenir, « le journal républicain le moins cher du département ».
En la matière, nécessité fait loi. Concurrencé par les « petits journaux à cinq centimes », par son hebdomadaire, le quotidien vit un mouvement de désabonnement. D'autant que le pays connaît une crise économique importante. À la fin de l'année 1883, le tirage de l'hebdomadaire atteint 7 054 exemplaires, soit 1 200 de plus que l'année précédente. En 1884, le nombre d'abonnés au quotidien a, au contraire, encore connu une légère baisse, 1 249. La concurrence des journaux parisiens et lillois, celle de l'édition du Dimanche suffisent-elles à expliquer la baisse du tirage de L'Avenir quotidien ? Le phénomène se poursuit, à l'aube du xxe siècle, le nombre d'abonnés à l'hebdomadaire est de 25 000 contre 1 670 au quotidien.
UNE RÉDACTION INSUFFISANTE
À Eugène Carlier succède à la direction du journal en juin 1883 J. Moullé, nommé par un conseil de surveillance présidé par le vétérinaire arrageois Viseur et dans lequel on retrouve plusieurs élus opportunistes, les députés Louis Florent-Lefebvre, Achille Fanien, mais aussi Louis Démiautte, devenu sénateur,… Moullé ne dirige le journal que quelques années. À partir 1885 et jusqu'à la Première Guerre, le conseil accorde sa confiance à Édouard Bouvry.
Lorsqu'Eugène Carlier est nommé à la tête de la Société en août 1873, ses appointements sont fixés à 4 000 F par an, « le logement et l'éclairage en plus » comme le précise l'article 4 des statuts de la Société. Il dirige la rédaction « en se conformant aux décisions du conseil de surveillance ». Lui seul signe normalement ses articles. Si les autres rédacteurs signent, ils sont « responsables pécuniairement envers la Société pour toutes condamnations » de leurs écrits, selon l'article 17 de ces mêmes statuts.
Douze ans plus tard, les appointements du gérant ne sont plus que de 3 000 F par an. Il est vrai que les nouveaux statuts précisent que maintenant « La rédaction du journal est confiée à un rédacteur en chef ».
Il est difficile de recenser les collaborateurs du quotidien. En mars 1881, le commissaire de police d'Arras semble regretter que « la rédaction du journal laisse beaucoup à désirer et [ne soit] pas souvent à la hauteur des situations. » Selon son rapport, le rédacteur en chef, Régnier de la Malenne « emploie parfois sa verve à des articles humoristiques d'un goût douteux », le reporter « un nommé Jubin [originaire] de Wanquetin » est un « garçon inoffensif ». À côté de ces journalistes, les collaborateurs non permanents ont nom : Viseur, vétérinaire départemental, Ghislain Decrombecques, le défricheur de la plaine de Lens, Lannoy, avocat, membre du conseil municipal, et, lui aussi, membre du conseil de surveillance du quotidien… En 1888, le constat n'est guère plus flatteur. Le préfet du Pas-de-Calais note « l'insuffisance » de la rédaction qui ne permet pas au journal « d'acquérir l'influence qu'il devrait avoir ».
Il est plus aisé de citer les rédacteurs en chef qui, jusqu'à la Première Guerre, se succèdent parfois rapidement. Leur nom apparaît souvent, avec celui du gérant, à côté du titre. Carlier, on l'a vu, a exercé les fonctions de « rédacteur-gérant », donc de rédacteur en chef. Lui a succédé Louis Lièvin. Mais la première mention de l'expression « rédacteur en chef » n'apparaît qu'en 1876. Le titre revient d'abord à E. Mansuy, dernier directeur et rédacteur en chef de L'Ordre avant sa fusion avec L'Avenir. Puis apparaissent les noms de Jacques Guillebaud, Régnier de la Malenne qui vient de la feuille parisienne Le xixe Siècle… En 1883, Léger-Bersœur prend sa succession. En 1884, il est remplacé par Edmond Dutemple, qui démissionne victime de censure de la part de son directeur. En 1886, c'est l'ancien journaliste au Petit Nord et à L'Ami du Peuple de Douai, Auguste Druelle qui occupe le poste. Avant de préférer en 1892 le barreau à la rédaction de L'Avenir. Charles Vaillant y reste près d'une dizaine d'années. En 1900, il devient chef de cabinet de Charles Jonnart, nouveau gouverneur de l'Algérie. Enfin jusqu'à la guerre, la fonction est assurée successivement par J. Dessaint, Émile Gauthrin, venu du Petit Calaisien, G. Say, et Louis Huyghe.
Avant de s'installer rue Gambetta en 1902, L'Avenir est passé de la petite rue Saint-Étienne (9 novembre-20 novembre 1873) à l'impasse rue Saint-Étienne (21 novembre 1873-21 novembre 1874), à la rue de la Braderie (22 novembre 1874-3 mai 1880) puis à la rue du Larcin (4 mai 1880-31 décembre 1902). Le magazine La Construction moderne de juin 1912 donne une description précise de ses bâtiments. L'hôtel de l'administration est situé sur la rue Gambetta : « La façade, simple et élégante, porte bien le cachet de sa destination : elle n'est ni celle d'un hôtel privé ni celle d'un établissement de commerce.
Sérieuse et empreinte de la noblesse qui sied à la maison où se précisent les pensées politiques d'une grande région, elle porte, sur un cartouche entouré de drapeaux et de faisceaux de licteurs, le nom du journal surmonté d'un bonnet phrygien dressé d'une pique.
Trois arcades en pierre s'ouvrent sur le hall des dépêches où le public a constamment accès. Une porte au fond du hall le fait communiquer avec l'administration, les bureaux et les salles de rédaction.
À droite et à gauche de la façade, deux entrées particulières sont celles respectivement du personnel de l'imprimerie et du gérant et de sa famille. »
Le journal donne peu d'informations sur son équipement technique. En mai 1880, son imprimerie est pourvue d'une presse à réaction Marinoni. Actionnée à la vapeur ? Peut-il en être autrement ? L'assemblée générale du 15 juin 1881 évoque l'achat du matériel effectué en 1880 et énumère : caractères, machine à vapeur, presses et outillages divers sans plus de détail. Par la suite, nous n'avons plus trouvé de mention sur le matériel du journal. Au début du xxe siècle, alors que les bureaux donnent sur le boulevard Gambetta, les ateliers de l'imprimerie occupent un terrain attenant, situé sur le boulevard Carnot. Toujours selon le magazine La Construction moderne, « la salle des machines, nettement isolées, s'ouvre directement sur la cour, tandis qu'un dégagement large de 3, 75 m dessert de façon commode les locaux spéciaux affectés au clichage, à la tremperie, et à la fonte des rouleaux, d'une part, et le vaste hall qui abrite les machines à imprimer, d'autre part. »
LA RÉPUBLIQUE CONSERVATRICE !
Au lendemain de sa parution, L'Avenir tire les leçons du scrutin du 8 février : « C'est donc avec une immense majorité qu'ont été élus dans le Pas-de-Calais les candidats de "l'Union et de la conservation sociale" et monarchique. Ils ont promis la paix à des hommes qui sont fatigués d'une guerre atroce et c'était un moyen infaillible de succès.
Ils ont en même temps représenté le parti de la République comme voulant la guerre à outrance, et la question étant ainsi acceptée, la victoire ne pouvait être douteuse. »
Après les négociations de paix menées par Thiers et Favre, L'Avenir déplore que si la paix est assurée « les conditions en sont douloureuses pour la France. » Au nom de l'union dont le pays a besoin pour « se réorganiser et se reconstituer » il se rallie au « gouvernement de fait, que la France vient de se donner par ses représentants » et s'engage : « C'est à cette politique si bien exposée par le chef du pouvoir exécutif que […] nous voulons rester fidèles ; c'est incontestablement la meilleure dans la situation actuelle, et nous avons confiance qu'elle restera la meilleure dans les temps qui suivront. » Comme les trois autres quotidiens arrageois, L'Avenir condamne la Commune la traitant dès sa mise en place « d'odieuse comédie », de « farce lugubre ». Il n'hésite pas à réclamer une « action énergique » : « toute hésitation ne ferait plus qu'aggraver le mal. » Durant la semaine sanglante, il se réjouit des « excellentes nouvelles de Paris » où « l'insurrection est vaincue sur toute la ligne. » Au moment où les Versaillais multiplient les exécutions, son indignation est sélective. Il fustige surtout les actes des communards qui « dépassent en sauvagerie et en vandalisme tout ce que l'histoire des peuples barbares peut nous rapporter d'analogue. »
Thiers parti, le journal réaffirme que le « seul gouvernement possible en France reste la République ». Si les lois constitutionnelles de 1875 sont une première victoire, le retour de Broglie à la tête du ministère après la crise du 16 mai 1877 l'alarme : « Ils reviennent en hommes de combat […] décidés à jouer contre la nation française leur va-tout. »
Les années qui suivent sont heureusement plus favorables : les élections sénatoriales du 5 janvier 1879 représentent « une grande victoire pour la République », le 30 janvier l'élection Jules Grévy à la tête du pays devient « l'achèvement de la République. L'édifice […] enfin couronné ». Seule ombre au tableau, l'absence de Thiers, mort en décembre 1877 : « De quelle immense joie l'âme du grand patriote n’eut-elle pas été remplie à cette vue […] sa pensée et son exemple sont vivants parmi nous, c'est comme un levain fécond dont les effets se manifestent pleinement à l'heure présente. »
Républicaine, mais modérée, telle est la ligne politique de L'Avenir, qui réaffirme en mars 1880 son soutien à « la République conservatrice, la République de M. Thiers, de Grévy ». En novembre 1881, il accueille avec une certaine sympathie l'arrivée de Gambetta au pouvoir : « L'expérience qui commence présente donc à tous les points de vue un intérêt des plus vifs et le moins que puissent faire les républicains, c'est de suivre l'œuvre entreprise par M. Gambetta, président du Conseil, avec une sympathie expectante ; car si l'on n'a pas le grand ministère, on aura peut-être du moins le grand programme. »
Les élections suivantes, les conservateurs reviennent en force. Lors des sénatoriales de janvier 1885, les républicains ont gagné 23 sièges, « une belle victoire » pour L'Avenir qui reconnaît que « la tache noire se trouve à présent dans la région du Nord » qui a élu « trois réactionnaires » dont Auguste Paris. Après les résultats des législatives d'octobre où les conservateurs raflent tous les sièges, le journal républicain minimise la défaite : « À chaque heure, la lumière se fait sur les manœuvres qui ont amené, pour la réaction, dans le Nord et le Pas-de-Calais, une victoire dont il est facile d'apprécier dès aujourd'hui les effets et de mesurer les conséquences. »
Votée en juin 1886 à l'instigation du ministre de la Guerre, l'expulsion des prétendants au trône de France réjouit le quotidien arrageois : « fastidieuse question qui, le cas échéant, aurait pu mettre en péril l'existence même de la République » juge-t-il. Pourtant il ne lui faut guère de temps pour mesurer le danger que représente le général Boulanger, fustigeant la presse d'extrême gauche « qui a été la première à couronner d'une auréole l'honorable commandant du 13e corps, […] Selon son habitude, elle cherche à se laver les mains de ce qui se passe et volontiers, elle attribue la candidature de Boulanger et la propagande faite en sa faveur à une manœuvre de républicains modérés… »
Héraut de la politique gouvernementale, L'Avenir verse très vite dans l'anticléricalisme. La laïcisation des écoles, les conflits religieux, les scandales dans lesquels peuvent être impliqués des ecclésiastiques,… occupent une grande partie de ses colonnes. Le quotidien se plaît à ironiser sur la pratique religieuse et notamment celle des pèlerinages.
En janvier 1896, ce n'est pas sans une certaine gourmandise que Charles Vaillant annonce l'attribution de la croix de chevalier de la Légion d'honneur à l'évêque d'Arras, Mgr Williez : « Nous n'en féliciterons pas notre évêque. Les compliments de L'Avenir pourraient le compromettre aux yeux de son monde. Ce n'est pourtant pas l'envie qui nous manque de le féliciter ! […] Et quant à la satisfaction qui résulte d'une telle découverte, se joint celle de rapprocher la décoration de l'évêque d'Arras de cette constatation de son organe attitré Le Courrier que "la République n'a rien fait en 1895 pour le pays", non ! c'est trop de joie pour ce commencement d'année de pouvoir répondre au Courrier que la République a au moins fait quelque chose… puisqu'elle a décoré Mgr l'évêque d'Arras, de Boulogne et de Saint-Omer.
Mais si nous ne nous reconnaissons pas le droit de féliciter M. l'évêque d'Arras, du moins ne voudrions-nous pas jeter une goutte d'amertume dans la joie qu'il savoure, joie d'autant plus grande sans doute qu'elle était moins prévue. D'autres peut-être s'en chargeront et lui feront porter lourdement sur l'épaule, comme jadis au Calvaire, la croix que le gouvernement de la République vient d'attacher sur sa poitrine. Mais ceux-là ne sont pas des républicains. La République préfère, comme le bon chien, lécher la main qui la frappe, et quand le clergé la combat, il décore ses évêques. C'est bien là le comble de la persécution… »
La polémique avec ses concurrents Le Courrier, La Croix d'Arras et La République libérale est constante. En août 1893, à Dainville, Charles Vaillant va même jusqu'à croiser le fer contre l'un des administrateurs de La République libérale. Les échanges les plus virulents ont certainement lieu avec La Croix Pour cette dernière, le quotidien républicain fait partie des « journaux de la secte judéo-maçonnique » qu’elle fustige à longueur de colonnes.
Malgré ses convictions, et parfois des prises de position courageuses, comme lors de l'affaire Dreyfus, L'Avenir reste un titre d'arrondissement. Organe de l'Union républicaine démocratique, le quotidien arrageois n'est à la veille de la Première Guerre qu'un journal d'abonnés.
L’AVENIR S’ASSOMBRIT
Dirigé par Désiré Malfait, L'Avenir d'Arras et du Pas-de-Calais ne reparaît que près d'un an après la signature de l'armistice, le 7 novembre 1919. Ses bâtiments n'ont pas encore été complètement restaurés. Sous son titre, il peut s'affirmer « journal quotidien », il est incapable de tenir cet engagement. Sa parution sera tri-hebdomadaire. Sa pagination se limite à deux pages présentées sur six colonnes qui seront parfois illustrées par un dessin : les portraits de Raymond Poincaré et Charles Jonnart lors de la visite du président de la République à Arras, ceux d'Armand Fallières et d’Émile Loubet, ou d'Alexandre Millerand lors de sa nomination à la présidence du Conseil…, mais aussi par une rare photo.
Dans un éditorial intitulé « Union et organisation », son rédacteur en chef Adolphe Morel affirme la ligne politique du journal qui, après la guerre, est celle de nombreux titres : « Lorsque L'Avenir parut immédiatement après la guerre de 1870, il faisait sienne la déclaration de Gambetta : "Nous n'avons pas d'autre programme que celui de la France". C'est cette même devise qui aujourd'hui exprime nos sentiments.
Nous ne voulons point, en effet, que nos camarades tombés au champ d'honneur se soient sacrifiés en vain et tous, nous avions fait le serment, si nous revenions de là-bas, de continuer dans nos rapports civiques l'union intime que nous scellâmes de notre sang.
[…] Notre programme sera le programme national et républicain que nous ont dicté les plus nobles parmi nos frères et dont les décombres de nos cités et les déchirures de nos campagnes réclament la réalisation urgente. »
Aussi se place-t-il derrière les candidats du Bloc national, rejetant royalistes, bonapartistes, mais aussi socialistes, ceux qui « se sont ainsi exclus eux-mêmes de la grande famille républicaine, les violents de droite et les violents de gauche, d'une part les derniers et rares partisans des régimes déchus, d'autre part, ceux qui, déjà las d'être patriotes, se reposent en un humanitarisme criminel et émettent le souhait d'une agitation internationaliste ».
En janvier 1920, le journal entre dans sa cinquantième année. En mars, il double sa surface, il est imprimé sur quatre pages. Marc Leclerc remplace Alphonse Morel. La « une » ressemble à un placard d'articles d'une dizaine de lignes. La plupart des signatures viennent d'autres journaux : Hyacinthe Francq, Charles Quettier de La France du Nord, Félix Simon du Télégramme du Nord, Émile Ferré de L’Écho du Nord, Léon Bailby de L'Intransigeant…
En janvier 1922, le journal reprend enfin sa parution quotidienne. Son conseil d'administration est présidé par le sénateur de l’Union républicaine Henri Bachelet. Les rédacteurs en chef se succèdent. En 1924, le quotidien s'enorgueillit de la présence de plusieurs chroniqueurs : artistique, Rodolphe Mael ; parlementaire, R. Vigne ; agricole, L. Malpeaux ; militaire, le général Fonville ; sportif Doutremepuich ; médical, le docteur Marc Antoine ; mais aussi de collaborateurs parisiens dont la plupart sont des parlementaires. Ces collaborations ne suffissent pas à améliorer son influence. La police note qu'elle « reste limitée par suite du peu d'importance de son tirage » évalué à « environ 1 000 exemplaires ». La forme et le contenu font pourtant l'objet d'améliorations constantes. Les locales sont présentées sous une barrette représentant quelques monuments des villes.
Du 4 au 22 septembre 1928, L'Avenir est affecté par une longue grève qui touche les dix imprimeries arrageoises. Lancé par le syndicat du Livre, ce mouvement vise à obtenir, selon le rapport établi le 7 septembre par le capitaine de gendarmerie d'Arras, une augmentation du salaire journalier de 29, 60 F à 33 F, alors qu'il serait déjà de 36 F dans le Nord. L'Avenir est-il la victime d'un conflit qui le dépasse ? D'une campagne d'agitation plus globale menée par la CGT ? Douze des trente-trois ouvriers du journal cessent le travail, et empêchent ainsi sa parution. La direction s'étonne de cette situation : aucune revendication ne lui serait parvenue, ses ouvriers sont payés « au-dessus du tarif », elle parle de « sommes journalières de 40 F, 39 F, 36 F, 35 F ». Direction et délégué régional du Livre polémiquent à plusieurs reprises dans les colonnes… du Courrier qui, lui, sort chaque jour.
Avec des moyens contestés par le syndicat - des ouvriers appartenant à un autre atelier - Malfait réussit pourtant à sortir un journal à partir du 15 septembre. Imprimé sur deux pages, ce n'est que l'ombre du quotidien habituel. Les premières menaces tombent : tous les grévistes qui n'auront pas repris le travail pour le 19 seront considérés comme démissionnaires. Les imprimeurs arrageois emploient même les grands moyens pour éviter la cessation d'activité : lors d'un meeting aérien, ils font lancer des prospectus. Que les clients se rassurent ! ils « livrent vite et bien. » La situation se prolonge jusqu'au 22 septembre où L'Avenir est enfin édité sur quatre pages. Cette grève a-t-elle aggravé une situation économique déjà fragile ? En 1929, le périodique devient journal du soir, et ce jusqu'en 1934 où il abandonne toute référence politique sous son titre. En décembre 1932, le commissaire d'Arras avertit le préfet : « Le bruit court dans le monde de la presse que de profonds changements s'opéreraient en janvier prochain au journal L'Avenir. Cette feuille ne paraîtrait plus quotidiennement et M. Théodore (1) quitterait le journal. Il paraît que les membres du Conseil d'administration sont las d'alimenter sans cesse les caisses du journal. »
La périodicité de L'Avenir n'a pas évolué lorsque se déroulent les élections législatives des 23 avril et 6 mai 1936. « Le pays a voté extrême gauche » s'alarme le journal qui déplore que 236 sièges soient allés aux socialistes et aux communistes. Il craint que le ralliement des radicaux n'engage le pays dans « une politique révolutionnaire […] catastrophique ». Cependant l'inquiétude ne l'empêche pas d'appeler à comprendre « les aspirations du peuple pour l'aider à se libérer des servitudes, des injustices dont il ne se plaint pas sans raison. »
Devant la gravité de la situation, certains éditoriaux, expression non plus d'un homme, mais du journal, sont signés de la lettre A et d'une plume entrelacées. Le quotidien s'émeut de ce qu'il appelle l'interrègne. Il désapprouve l'agitation sociale qui gagne la France et en rend les socialistes responsables : « On croit, les masses ont cru, M. Léon Blum, que vous aviez en poche la clef du paradis ! écrit Jules Morel après la formation du gouvernement. Campagnes violentes, perfides, calomnieuses ont troublé violemment l'atmosphère de ce pays, que, jadis on appelait doulce France ; au risque de paraître radoter, je dirai à M. Léon Blum que lorsqu'on sème le vent, il arrive qu'on récolte la tempête ! » La satisfaction de certaines revendications, et notamment la semaine des quarante heures, risque, selon le quotidien arrageois, de se payer chèrement : cette réforme « ne nous paraissait pas servir les intérêts des ouvriers ».
La richesse de l'actualité n'a pas aidé L'Avenir. Au contraire, à l’en croire, il paierait plutôt la politique menée par la gauche. « Les temps sont durs pour la presse. Les temps sont durs pour notre journal : renchérissement du papier et du reste, poids accablant des lois sociales ou soi-disant telles, comme la loi des quarante heures, aggravation des taxes postales et autres, affirme-t-il le 28 juillet 1937.
Déjà notre journal, qui est avant tout un journal d'opinion ne se soutenait, depuis longtemps, qu'au prix de lourds sacrifices. Ces sacrifices sont, deviennent de plus en plus lourds, si bien que notre journal ne peut plus supporter les charges d'une parution quotidienne. »
Le 1er août 1937 L'Avenir devient hebdomadaire avec la promesse de rester, après tant de combats pour la république, une « voix indépendante [s'élevant] inlassablement contre une politique démagogique, diviseuse et semeuse de ruines ». Les jours meilleurs tant espérés ne reviendront pas. L'Avenir disparaît définitivement quelques jours après la déclaration de guerre, le 16 septembre 1939.
(1) Théodore sera rédacteur en chef jusqu’en 1937.