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RÉVOLTÉ (LE)

Le Révolté. Organe hebdomadaire d'union, d'action et d'éducation révolutionnaire

Le Révolté ! Le titre est neuf, et affiche la mention « 1re année, n° 1 ». Ce journal n'est pourtant pas vraiment une nouveauté. Lorsqu'il paraît le 9 octobre 1910, cet hebdomadaire prend la suite de L'Action syndicale qui vient de fusionner avec Le Combat de Tourcoing. Conformément aux engagements pris avant la disparition de ces deux titres, il est vendu cinq centimes.

Imprimé dans les locaux de L'Action syndicale, 32, avenue du Quatre-Septembre à Lens, Le Révolté. Organe hebdomadaire d'union d'action et d'éducation révolutionnaire a l'ambition de couvrir les départements du Pas-de-Calais, du Nord, et de l'Aisne avec des bureaux à Lille, Roubaix, Tourcoing et Saint-Quentin. Son gérant, Henri Dupuy, est d'ailleurs un ancien gérant de l'ancien hebdomadaire lensois. Benoît Broutchoux en est le secrétaire de rédaction à côté d'Oscar Luce, de Louis Dumas, de J.-B. Knockaërt et de J. Le Brun.
De format 38 x 55 cm, présenté sur cinq colonnes, Le Révolté revendique le même ligne politique que son prédécesseur dont, quelques mois plus tard, il reprend l'ancienneté : « Le Révolté est une tribune antimilitariste et antipatriotique parce qu'il préfère la paix à la guerre, parce qu'il veut substituer à l'idée de patrie, l'idée de fraternité universelle.
Le Révolté est contre l’État parce que ce dernier, qu'il ait l'étiquette républicaine, impérialiste ou royaliste, est toujours au service des gros contre les petits, parce que l’État a pour but essentiel de réagir contre les révoltes du peuple lorsque celui-ci veut faire un pas dans la voie de l'affranchissement, parce que l’État est une machine à gouverner, inutile et nuisible qui n'aurait pas sa raison d'être dans une société bien ordonnée.
Le Révolté est contre toutes les religions, parce qu'elles entretiennent l'ignorance et prêchent la résignation. Le Révolté veut faire de l'éducation et prêcher la révolte.
Le Révolté est anticapitaliste et entend faire la guerre sociale. »
Dès son lancement, Le Révolté se jette à corps perdu dans la grève des cheminots. Son attitude est celle de L'Action syndicale après la catastrophe de Courrières. Le mercredi 12 octobre 1910, il se met à la disposition du comité de grève et annonce la publication d'éditions spéciales selon les événements, puis à partir du 17 une édition spéciale tous les soirs à 5 heures. Cependant le lendemain tout est terminé…
Le Révolté prend son véritable départ le 16 février 1911. En effet après quinze numéros, il connaît les mêmes difficultés et les mêmes errances que son prédécesseur et cesse momentanément sa parution à partir du 11 décembre 1910. Il revient donc avec une imprimerie, espère-t-il, « définitivement installée » 50, rue de Paris à Lens grâce à la signature d'un bail de trois ans, un prix porté à deux sous et des vendeurs décidés à acquitter régulièrement leurs dettes (Cf. notice L'Action syndicale). Sa commission est composée de « révolutionnaires appartenant à divers groupements de défense ouvrière » : Cognet et Lecoustre, de la fédération syndicale, Lebrun et Broutchoux du syndicat des mineurs, Ampe et Altemire, du Parti révolutionnaire, Dupuy et Bigotte de la Libre pensée.
Basly, qui « reste l'homme des compagnies », Le Réveil du Nord, devenu « Le Ré… pugnant du Nord, dirigé par toutes les fripouilles de loges, assoiffées de petits profits », sont toujours ses cibles privilégiées. S'y ajoutent Cordier, secrétaire de rédaction à La Voix du mineur, « le cuisinier de La Voix du mineur » pour le journal anarchiste, et l'ancien compagnon de Broutchoux passé au Vieux Syndicat, Georges Dumoulin, présenté comme un « ex-révolutionnaire, aujourd'hui équilibriste et trésorier adjoint par surprise de la CGT. ». Loin de l'alliance autrefois dénoncée par le Vieux Syndicat entre L'Action syndicale et La Plaine de Lens, les échanges sont aigre-doux voire vifs avec le journal nationaliste. À son rédacteur Marcel Osteux, qui le compare à un torchon, Le Révolté réplique qu’il faut « quelquefois des torchons pour enlever certaines saletés ? » « Le Torchon, ironise-t-il, a son utilité, citoyen Marcel, quoique n'étant pas aussi aristocrate que la serviette. »

Le Révolté développe les mêmes thèmes que L'Action syndicale, mais témoigne aussi d’autres engagements. Il refuse l'antisémitisme, préférant à la lutte des races la lutte des classes. Il dénonce le « brigandage colonial ». Il condamne la peine de mort qui n'est qu'un « assassinat légal ». Les socialistes et la CGT sont persuadés de l'imminence d'un conflit dans lequel « la France n'a rien à voir », l'hebdomadaire anarchiste, antimilitariste, antipatriotique, n’est pas en reste, il appelle lui aussi à la mobilisation contre la guerre. Le 1er décembre 1912, sur cinq colonnes, il relaie le message de la confédération ouvrière : « Tous debout contre la guerre ! », « Rien pour la Guerre ! Tout pour la Révolution ! » La plupart des articles sont rédigés par des collaborateurs locaux, mais l'hebdomadaire publie également des textes de personnalités nationales : le libertaire Sébastien Faure, fondateur de la communauté éducative La Ruche, le syndicaliste Émile Pouget, rédacteur en chef du journal cégétiste La Voix du peuple, etc. Sans préjuger de son audience, son tirage irait en progressant selon une mention portée à la main au-dessus du titre : 3 500 exemplaires le 4 juin 1911, 4 200 exemplaires en décembre 1912. Et 5 200 en mai 1913.
Cela n'empêche pas Le Révolté d'être en proie aux mêmes difficultés que son prédécesseur. Il est victime de colporteurs peu scrupuleux. Il change à plusieurs reprises d'imprimerie, passant de Lens à Harnes en avril 1911 avant de revenir à Lens en décembre 1912. Ses collaborateurs ont maille à partir avec la Justice. En octobre 1911, Dupuy et Le Brun se retrouvent aux assises de Saint-Omer pour avoir publié des articles injurieux pour l'honneur du 73e d'Infanterie de Béthune. Poursuivi pour provocations au meurtre, au vol, au pillage et à l'incendie, Broutchoux est condamné à Douai le 18 janvier 1912, alors qu'il est déjà incarcéré depuis quatre mois, à un an de prison et 100 F d'amende. En juillet 1913, la parution du Révolté est interrompue jusqu'au 7 septembre. Elle reprend pour trois semaines. Le 5 octobre, l’hebdomadaire est remplacé par L'Avant-garde. L'état de la collection conservée aux Archives départementales du Pas-de-Calais ne nous permet pas de connaître les raisons de cette interruption puis de ce changement de titre.