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REVUE DU PAS-DE-CALAIS

Revue du Pas-de-Calais. Union catholique des Flandres, du Boulonnais, du Calaisis et de l’Ancien Artois. Mémorial religieux, littéraire, historique, industriel et agricole

À la fin des années 1850, Le Courrier du Pas-de-Calais, journal officieux de la préfecture, reste le seul quotidien publié à Arras. Les catholiques n'ont plus de périodique dans le chef-lieu du Pas-de-Calais depuis la disparition de La Société en 1855. « On sentait le besoin d'une publication périodique à côté du Courrier » écrit en 1890 P.-M. Laroche.
Petit événement, le 1er janvier 1859, l'imprimeur Rousseau-Leroy et le chanoine Robitaille sortent une petite feuille hebdomadaire de 16 pages, la Revue du Pas-de-Calais. Mémorial religieux, littéraire, historique et agricole. Dans ce premier numéro, Rousseau-Leroy, qui annonce déjà 600 abonnés, définit l’objectif ambitieux de sa publication : « faire le bien ». Et d'expliciter sa pensée : « Point de politique : notre affaire est tout à la fois moins grave et plus sérieuse.
Point de polémique : autant du moins qu'il est humainement possible de le prévoir. Sans prévention d'aucune sorte, sans préjugé de parti, ne voulant que le bien pour le bien, nous sommes en cela, s'il faut nous donner un nom, du parti de l’Éclectisme et de la Fusion dans la charité. » La Revue du Pas-de-Calais parlera de religion, de morale, de littérature, d'histoire, d'industrie, d'Agriculture. « Notre but, notre but avoué, poursuit Leroy-Rousseau, le seul que nous ayons et que nous puissions avoir, est de nous rendre utiles à tous et d'arriver sous tous les toits, ne nous occupant que de science à la portée de toutes les intelligences. » Pour y parvenir, la publication s'est attaché quelques plumes : les abbés Parenty, Van Drival, Haigneré, le jeune historien Adolphe de Cardevacque, etc. « La Revue, remarque sans fausse modestie Leroy-Rousseau, pourra se glorifier de posséder quelques-uns des plus beaux noms de la littérature française. » Parmi les collaborateurs occasionnels figure également Paul-Marie Laroche, futur directeur de la Société du Pas-de-Calais.

LA BÉVUE DU PAS-DE-CALAIS
La Revue du Pas-de-Calais espère trouver auprès des desservants des paroisses un relais efficace. Les trois premiers numéros leur sont adressés gracieusement « pour les mettre à même de s'y abonner avec connaissance de cause et provoquer des abonnements auprès de leurs paroissiens ». Le succès semble au rendez-vous : « Les abonnés affluèrent… » remarque P.-M. Laroche. Dans le n° 6 daté du 6 février 1859, les éditeurs annoncent : « Le nombre des abonnés augmentant de jour en jour, nous donnerons le premier dimanche de chaque mois un supplément de quelques pages, consacré exclusivement à une nouvelle. »
Pourtant, à en croire Laroche, le ver est déjà dans le fruit : les deux hommes qui dirigent la revue n'ont pas la même conception de la presse. Et de conter une anecdote éclairant leurs relations : « Avant de commencer leur œuvre, M. Robitaille vint me voir et me demander mon concours. […] J'entamai […] une étude assez délicate que M. Rousseau s'empressa d'imprimer sans prendre l'avis de M. Robitaille. M. le Chanoine s'émeut, il m'écrit. M. Rousseau m'écrit dans un sens contraire. M. Robitaille insiste : je vous en prie coupez votre discussion dangereuse .- Continuez sous ma responsabilité, réplique M. Rousseau, c'est palpitant et si actuel. Je cessai mes envois… » Le clergé arrageois ne manque pas de critiquer les audaces de Rousseau-Leroy : « Le clergé, toujours prompt à la critique et toujours difficile en fait de journal, […] trouva un matériel pour caractériser la publication Rousseau-Robitaille ; on la nomma la Bévue du Pas-de-Calais. » Le contenu de ce périodique semble pourtant bien modéré avec des articles dont la plupart sont l'œuvre d'ecclésiastiques : des biographies édifiantes, la légende de saint Kilien, fondateur du monastère d'Aubigny-en-Artois, le Chapitre impérial de Saint-Denis, l'allocution du pape dans le consistoire secret du 20 juin 1859, une Lettre du postulateur dans le procès de Benoît Joseph Labre au curé d'Amette, la distribution des prix au petit séminaire d'Arras, une excursion archéologique dans l'arrondissement de Saint-Pol… À moins que ce ne soit les rubriques « Les on dit de la semaine (sans garantie) » et les « Nouvelles diverses » qui mobilisent le clergé.
En octobre 1859, Rousseau-Leroy s'adresse aux abonnés. Il s'octroie un satisfecit : « Vous avez vu comment, par le nombre et la variété des nouvelles, le choix et l'interprétation des faits, la Revue peut tenir lieu d'un grand journal, pour beaucoup de familles. Notre voie est désormais trouvée, notre chemin tout tracé, plus d'errements ni d'essais ; donc patience et confiance. » Puis répondant à leur sollicitation, il annonce un changement de format et une nouvelle périodicité : « Moyennant donc un faible supplément de trois francs, c'est-à-dire pour neuf francs par an, nous paraîtrons régulièrement à partir du 1er janvier 1860, les jeudi et dimanche de chaque semaine, dans un format in-4 carré, sur trois colonnes. »
Les catholiques ont de plus en plus besoin d'un journal, mais les abonnés répondent-ils aux attentes des éditeurs ? Ceux-ci renoncent aux changements annoncées. L'abbé Robitaille leur lance un appel en décembre 1859 : « Les motifs qui nous ont déterminé, l'année dernière, à provoquer la fondation d'une publication hebdomadaire, destinée à signaler les faits importants, les œuvres de la religion et de bienfaisance, les événements divers intéressant la France entière - et notre contrée en particulier, nous portent à en désirer la continuation et, s'il est possible, le développement.
Les circonstances actuelles sont graves à plusieurs points de vue : un organe des intérêts catholiques pourrait devenir une nécessité, ou du moins une ressource dans un temps donné. Il serait trop tard de le demander au moment du besoin.
La Revue, dira-t-on, n'a pas répondu à l'attente générale ; c'est possible ; mais il faut tenir compte des efforts faits depuis quelque temps pour lui imprimer une marche plus régulière et des allures plus sérieuses.
Elle doit recevoir, du reste, des améliorations considérables. En conservant son format, son mode de périodicité et son prix d'abonnement, elle donnera toujours chaque semaine ses 20 et quelquefois 24 pages d'impression. Cette extension lui permettra de traiter de plus en plus des questions très intéressantes. »
De son côté Rousseau-Leroy précise que le développement de la pagination n'a été possible que grâce à « une semi-fusion de la Revue avec la Semaine du Vermandois » et l'appui de l'évêque d'Arras. Le 11 décembre, le journal publie d'ailleurs une lettre d'encouragement de Mgr Parisis : « cette publication est, dans son ensemble, une bonne lecture. La doctrine en est généralement très saine, et si l'on y a commis quelques fautes sous divers rapports, l'expérience les fera facilement éviter à l'avenir.
Sans prendre donc, en aucune manière, la responsabilité de la Revue du Pas-de-Calais, je désire qu'elle soit continuée, à raison de sa valeur actuelle et surtout à raison des services plus importants qu'elle pourrait être appelée à rendre. »

MOURIR POUR ROME
Les rapports entre l'empereur et les catholiques sont en effet en train de se détériorer. Napoléon III s'est fait depuis longtemps le champion de l'unité italienne. La Lombardie a été cédée à la France par l'Autriche après la victoire de Montebello, puis remise au Piémont, considéré comme hostile au pape. Les états pontificaux sont menacés par des mouvements révolutionnaires. La Revue du Pas-de-Calais regarde avec une attention particulière la politique italienne de Napoléon III. L’évêque d’Arras, lui-même, se montre critique. Il publie une brochure en réponse au texte de La Guéronnière Le Pape et le congrès. Organe gouvernemental, Le Courrier du Pas-de-Calais prend la défense de la politique impériale, il reproduit notamment un article du Constitutionnel dénonçant l’écrit de Mgr Parisis, L’Évêque d'Arras à l'auteur de la brochure Le pape et le congrès.
La Revue du Pas-de-Calais ne peut pas rester étrangère au débat, déjà le chanoine Robitaille fait circuler à Boulogne une pétition en faveur du pape. Dès le 15 janvier 1860, Rousseau-Leroy publie un supplément de quatre pages Revue du Pas-de-Calais. Union catholique des Flandres, du Boulonnais, du Calaisis et de l'Ancien Artois. Robitaille s'explique « Nous ne croyons pas devoir attendre notre prochain numéro pour adresser un mot au Courrier du Pas-de-Calais.
Voulait-il en empruntant une plume étrangère pour attaquer le vénérable Prélat, mettre à couvert sa responsabilité personnelle ? En ce cas, il ignorait un principe élémentaire en pareille matière : car la responsabilité d'une citation retombe toute entière sur celui qui la fait sans lui infliger un blâme ou du moins la désavouer. Or Le Courrier n'a ni blâmé, ni désavoué l'auteur de l'article que nous signalons.
Ainsi M. Tierny par l'organe de M. Georges Zimmer accuse Monseigneur de regarder comme incompatibles ces deux mots catholique et indépendant. »
Et le chanoine de rappeler l’objectif de la brochure de l’évêque d’Arras qui refuse de voir le pape sous la dépendance d’un État : démontrer « l'impossibilité où serait le Souverain pontife, dépouillé de ses États, d'exercer sa puissance spirituelle et de maintenir l'unité de la foi, de la morale et de la discipline ecclésiastique. Il met en peu de mots cette impossibilité dans tout son jour avec une grande simplicité de style et une non moins grande lucidité d'expression. »
En juillet, la Revue du Pas-de-Calais reproduit le télégramme de l'empereur à l'impératrice après la signature de la paix avec l'Autriche, mais aussi sa proclamation à l'armée. Dans les semaines qui suivent, toujours préoccupée par les événements d’Italie, elle ouvre une rubrique « États de l’Église ». Cette ligne de conduite mène la Revue du Pas-de-Calais à sa perte. P.-M. Laroche donne sa version : « Ne pouvant lui assurer la vie, M. Rousseau eut la noble ambition de lui vouloir procurer une honorable fin. Il se donna le plaisir d'y plaider la cause de Pie IX. Il y flétrit, sans hostilité politique, l'hypocrisie officielle, qui livrait Rome à la Révolution, tout en comblant la papauté d'hommages mensongers, et ainsi il eut la gloire d'être condamné par la justice impériale et de tomber victime de sa foi religieuse. »
Le 16 mars 1860, le tribunal condamne Rousseau-Leroy à 500 F d'amende et un mois de prison. La parution du journal est interdite. L’Empereur fait grâce de la peine de prison à Rousseau, mais La Revue du Pas-de-Calais disparaît pour avoir défendu la cause romaine.